Au XIXe siècle, la condition féminine agricole n’est quasiment pas représentée. À l’essor de l’âge industriel, la femme agricultrice est souvent cantonnée à son rôle de femme de l’agriculteur. C’est en tout cas ce que l’histoire semble vouloir nous faire entendre. Pourtant, la réalité est certainement plus complexe et porteuse de réflexions pour aujourd’hui.
Dans la répartition du travail, le genre induit des différenciations, bien qu’elles soient plus faibles lorsque la collectivité est en difficulté. Plus les conditions matérielles sont rudes, plus la différenciation de genre est faible (ce qui explique, entre autre que les femmes participent aux guerres et même en prenant les armes, ce n’est pas uniquement pour l’érotisation de la féminité puissante, mais c’est un autre sujet). En dehors des situations de crise donc, on se répartit le travail des champs. Et l’harassante tache de ramasser les blés, après que soit passée la machine, est réservée au sort des femmes et des enfants. Image « bucolique » qui est fort souvent représentée, les femmes étant cette fois-ci en position donc d’effectuer les tâches les plus basses de la structure sociale.
Naturellement, les femmes sont assignées aux tâches domestiques, celles de l’éducation des enfants, de la recherche du bois pour se chauffer et cuisiner, au ménage et je ne sais quelles autres tâches. Mais cette fois-ci, les images sont beaucoup plus rares. Le travail domestique est rarement représenté. [1]
Communautés taisibles
En Auvergne, la communauté taisible est assez répandue. Ce système d’organisation diffère de ce que l’histoire a retenu comme majoritaire : la famille mononucléaire. Ce système provient de la société des années 1960. L’ancien système social n’est pas ordonné autour de la famille mononucléaire. Le nom de la communauté taisible provient de sa tradition orale : les contrats sont tus, c’est à dire qu’ils sont convenus par la parole. Dans ce système communautaire – dont les historiens ont beaucoup tergiversé quant à les nommer communistes – la structure sociale diffère de la communauté familiale entendue majoritairement en France.
La communauté est définie comme un ensemble de personnes qui partagent la même exploitation agricole, c’est donc le lien économique qui définit la communauté. Pourtant, elle est structurée par les liens de sang et prend alors le sens de famille. La communauté taisible provient probablement du Moyen-âge, des Balkans et d’Europe du Sud. En France, elle a connu deux pôles importants : le centre-France et la Corse.
Si ces communautés ont tendu à disparaitre à partir du XIXe siècle et de l’usage de l’écriture par le biais du code civil, on en trouve encore les traces dans l’organisation sociale de certaines familles. Cette famille diffère en plusieurs points nous l’avons dit de la traditionnelle division nucléaire (ou le lien couple et parent/enfant est le noyau de la structure sociale).
Dans la communauté taisible, l’autorité est partagée entre deux figures, l’une masculine et l’autre féminine, le maître et la maîtresse. Un maître et une maîtresse sont le plus souvent élus, mais il peut arriver que ce soit un rôle tacite. Une fois déterminé, il est endossé à vie. Ce sera le plus expérimenté ou le plus vieux ou parfois encore celui qui présente le plus de qualités pour le rôle. On a alors déjà vu un maître de moins de 20 ans. Le maître et la maîtresse ne sont jamais en couple.
Cette règle est définie pour éviter la concentration de l’autorité au sein du même couple. Les rôles sont définis en fonction du genre : le maitre dirige l’exploitation et défend les intérêts de la communauté, il est une autorité morale sans être autoritaire. La maîtresse, elle, est choisie uniquement par les femmes et est en charge de répartir le travail de la maison, de l’éducation des enfants, de soigner les malades et du travail des champs. Entre tous les membres de la communauté, les revenus de l’exploitation sont équitablement répartis.
Plus les conditions matérielles sont rudes, plus la différenciation de genre est faible. En dehors des situations de crise, on se répartit le travail des champs. Et l’harassante tache de ramasser les blés, après que soit passée la machine, est réservée au sort des femmes et des enfants.
Dans le travail domestique des villes, la production agricole est une source importante du revenu du ménage depuis le XIXe siècle, même dans le cadre du ménage nucléaire, plus répandu dans les milieux urbains et périurbains.
Saccaraudes
En Allier, nous devons mentionner le travail des saccaraudes, qui n’ont pas d’existence propre d’exploitantes agricoles, mais qui, en femmes d’ouvriers cultivent le potager et viennent vendre le surplus de la famille au marché. On trouve encore un petit nombre de ces femmes dans les marchés ruraux et les petites villes. Des statues en leur hommage viennent parfois orner les places de marché. Ces exemples tirés d’histoires plus ou moins lointaines dans le temps et dans l’espace nous permettent de comprendre un mécanisme encore en jeu dans l’oppression patriarcale : la faible représentation des femmes dans une position de pouvoir dans l’ensemble de la communauté.
Pour étayer cet argument, remarquons que le travail artisanal, lui, est représenté. Depuis les peintures médiévales, la femme tisserande, la laitière, sont vues comme une femme « sérieuse », « laborieuse ». La femme guerrière, en armes est représentée, et on la représente toujours. Ce sont toujours des femmes « intermédiaires » : on ne montre pas la femme conceptrice de l’ouvrage, dirigeante, ou cheffe de guerre mais au contraire, on montre l’exception intermédiaire en manifestant un certain intérêt de cette position d’exception maîtrisable car malgré tout éloignée du génie.
Les groupements féminins de développement agricole
Pour conclure et remédier à cela, penchons-nous sur un modèle fort peu connu : le groupement féminin de développement agricole, qui permet de se fédérer après les années 1960. Dans le cadre ouvrier – et souvent masculin, si ce n’est pour les ouvrières de Lejaby et leur célèbre lutte – on connait le format de la société coopérative ouvrière de production (Scop) permettant de mettre en œuvre immédiatement l’autogestion. Les groupements féminins de développement agricole sont un moyen pour elles de se fédérer après les années 1960 dans le cadre agricole. Une solution invisible aux yeux d’un grand nombre d’entre nous qui mérite d’être analysé et d’être source d’inspiration pour créer des projets contemporains.
Anna Jaclard (AL Auvergne-Paris)
- On lira avec profit l’ouvrage de Louis Baritou et Abel Beaufrère, Cheylade : une communauté rurale en Haute-Auvergne à travers les âges, Gerbert, 1979, Aurillac.