Par Stan, infirmier et membre de l’Union Communiste Libertaire Bruxelles
Ces derniers mois un mouvement social émerge du personnel soignant des différentes institutions hospitalières et de soins en Belgique. Ce mouvement est important car il signe le symptôme d’une disparition de ce qui reste d’humanité dans les soins, la relation d’aide. C’est le symptôme de la course en avant du capitalisme qui cherche à marchandiser chaque recoin de nos vies, avide de nouvelles zones de profit.
Dans ce but, l’Etat et le capital précarisent les hôpitaux publics, pour les faire tout simplement mourir et, en même temps, réduisent les apports financiers aux hôpitaux privés pour stimuler leur compétitivité. Le point d’orgue de cette privatisation est la mise en réseau des hôpitaux publics avec les hôpitaux privés, les forçant ainsi à collaborer et finir de les marchandiser. Au final, aujourd’hui, dans les hôpitaux publics comme privés, il est question de part de marché, de rationalisation des unités, d’attirer la patientèle, de compétitivité des hôpitaux entre eux, d’occupation de lit, comme les sièges chez Ryanair, bref de rendement.
Dans cette même dynamique, le financement des hôpitaux par l’Etat a changé. Pour rationaliser les apports et éviter les pertes, le financement des hôpitaux se fait à l’acte déclaré et aux hospitalisations standardisées. Quatre pansements ? C’est autant d’euros ; Une opération du cœur ? c’est autant de jour d’hospitalisation financé, au-delà ? pas d’argent ! Autrement dit, les médecins et le management poussent régulièrement les patient·e·s dehors alors qu’ils/elles sont tout juste ou pas encore guéri·e·s, par ce qu’ils/elles coutent trop cher, parce qu’il y a quelqu’un d’autre que nous devons mettre dans son lit… C’est donc le cumul d’actes et les journées standards d’hospitalisation qui justifient le niveau de financement, non le besoin réel, non le besoin humain ! Sans parler de toute la paperasse qu’engendre une telle justification du travail effectué, un pansement, une croix par-ci, une toilette, une croix par là.
Cette dynamique mercantile pousse, vous l’avez compris, les directions hospitalières, à grand renfort de management agressif, à la taylorisation des soins : rationalisation et augmentation des cadences. Effectuer plus d’actes, par moins de personne, en moins de temps, signifie plus de financement et moins de charge salariale. Un·e patient·e vite sortie de l’hôpital signifie moins de perte financière. C’est ainsi que nous avons pu voir arriver dans les hôpitaux, il y a une dizaine d’années, des techniques de management de chez Toyota qui nous prescrivaient de mettre nos outils à proximité des patient·e·s pour éviter un maximum de pas et pour pouvoir changer un maximum de pneus, heu.. pansements !
Le résultat est une compression et une augmentation des actes en milieu hospitalier poussant le personnel soignant à augmenter sa productivité et supprimer les aspects non essentiel pour le financement : l’aspect humain, non rentable. Au final, l’attention, le réconfort, le relationnel, non quantifiable, non standardisable, est simplement supprimé, par manque de temps. Alors, dans un premier temps le personnel soignant compense, soit en bâclant ses dossiers, soit en bâclant ses soins, soit en bâclant son humanité, soit un peu des trois mais toujours avec une grande insatisfaction parce qu’on sait à quel point pour certain·e·s le choix d’avoir fait ce métier pour aider l’autre est important. De toute manière, sortir de sa journée de travail en sachant qu’on a maltraité un·e patient·e, raté un soin, pas pu éviter une complication, ça laisse des traces et pas seulement à la victime du manquement.
Et puis un jour il n’est plus possible de compenser, il n’est plus possible de tenir bon, il n’est plus possible de donner le minimum, alors soit pour soi soit pour son/sa patient·e, le personnel soignant sort dans la rue pour défendre non seulement son salaire mais surtout le temps humain à donner aux gens. L’humain que le capitalisme exploite, le temps qu’il rentabilise, réduit et accélère, et que le/la soignant·e voudrait long, comme nous tou·te·s qui sommes pris·e dans le salariat…
Pour l’abolition du salariat, du capitalisme et de l’Etat !