Article écrit et publié par le Réseau Bruxelles Solidarité sur leur site. Ce Réseau se définit ainsi : « Nous sommes un réseau de soutien mutuel entièrement bénévole, ouvert aux locataires, avec ou sans logement et aux travailleur·euse·s avec ou sans emploi, actif·ve·s ou retraité·e·s. Nous avons recours à l’action directe collective pour lutter contre les employeurs et les propriétaires qui nous exploitent, empochent nos salaires, nous refusent des réparations, volent nos garanties locatives, nous trompent et/ou nous abusent d’une façon ou d’une autre ». Plus d’informations ici.

De 1975 à 1980 en France, les travailleurs immigrés des foyers gérés par la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotra) ont mené une grève des loyers, qui reste l’une des plus grandes luttes pour le logement en Europe. La Sonacotra a été créée en 1956 pour loger les travailleurs algériens, et dans le contexte de la guerre d’Algérie, elle est devenue un instrument de contrôle de ces travailleurs immigrés. Les foyers étaient des bâtiments en zones péri-urbaines fortement industrialisées, à l’écart de l’ensemble de la population et des commerces. Chaque foyer était dirigé par un directeur, souvent un militaire à la retraite, qui appliquait un règlement intérieur particulièrement répressif.

Au début des années 70, la Sonacotra multipliait les augmentations de loyers pour faire face à l’augmentation de ses coûts, et lorsque la grève éclata, les loyers étaient tellement élevés que la plupart des résidents étaient à l’extrême limite de leurs moyens financiers. En 1973, les deux foyers de Bobigny se mettent en grève, suivis par Aulnay-sous-Bois en 1974. D’autres mouvements de grève ont touché les foyers de Gennevilliers, La Courneuve, Montreuil et Saint-Denis. Jusqu’en 1975, ces mouvements ont été relativement isolés, mais les revendications convergent : baisse des loyers trop élevés, mise en cause des règlements intérieurs, reconnaissance des comités de résidents, et dans de nombreux cas, départ des directeurs racistes. La « grève des loyers » s’est étendue en 1976 à toute la région parisienne, puis à d’autres régions de France, mobilisant de 20 000 à 30 000 grévistes. Les résidents en grève protestaient contre la hausse généralisée des loyers, qu’ils jugeaient indécente par rapport à la qualité de vie offerte par ces logements. Ils dénonçaient également l’état de délabrement précoce des structures et les méthodes de répression utilisées contre leur mouvement

Face à ces revendications, la réponse a été l’intervention de la police dans les foyers, l’expulsion des résidents par voie de justice et des procédures de saisies-arrêts sur salaires. La grève des loyers a duré plusieurs années, mobilisant des milliers de travailleurs représentant 25 nationalités et mettant en place des formes originales de lutte qui ont réussi à maintenir leur autonomie.

La grève des loyers menée dans les foyers de la Sonacotra est un exemple unique de lutte à grande échelle et de longue durée dans le domaine du logement. Les syndicats ont adopté une attitude très réservée envers ce mouvement par méfiance envers son caractère novateur et de l’organisation autonome qu’il a su développer : Le comité de coordination des foyers Sonacotra en lutte. Cependant, la forme de logement développée avec ces foyers est directement liée aux conditions d’exploitation des travailleurs immigrés. En effet, la conception même des foyers est liée à leur situation globale en France : ils occupent des emplois sous-qualifiés, donc sous-payés, sont rejetés à la périphérie des villes, isolés du reste de la population et séparés de leur famille car le foyer ne leur permet pas de faire venir leurs proches. Les foyers Sonacotra ne remplissent alors qu’une seule fonction : permettre aux travailleurs de travailler et de reconstituer leur force de travail.

Les revendications ont finalement été partiellement satisfaites, avec des baisses de loyers, une reconnaissance des comités de résidents et le changement du personnel de direction. La grève des loyers de la Sonacotra est devenue un mouvement exemplaire dans l’histoire des luttes des travailleurs immigrés en France, dénonçant la ségrégation des travailleurs étrangers et faisant émerger une force d’auto-organisation et de résistance.

Sources :