Depuis un peu plus d’un an, après les dernières élections en date, la Belgique connaît une vague de mouvements sociaux. La nouvelle coalition au pouvoir impose, comme ailleurs en Europe, une austérité qui attaque les conditions de vie des travailleurs et des travailleuses. Mais la réponse des syndicats et de notre camp social ne s’est pas faite attendre et tient encore bon.
Le 9 juin 2024, les Belges n’ont pas seulement voté pour les européennes, mais également pour les législatives. Les résultats de ces élections sont une victoire pour la droite. Différents partis de droite [1] ont alors pu monter des gouvernements communautaires, régionaux et nationaux en Belgique, hormis à Bruxelles qui reste sans gouvernement.
En raison des différentes couleurs des partis composant la coalition nationale qui dirige le parlement (bleu, rouge, orange et jaune), elle fut nommée coalition « Arizona », en référence aux couleurs du drapeau de l’État américain éponyme (bien que l’on se questionne sur l’attribution du rouge pour représenter les socialistes flamands).Cette recomposition de la classe politique a débouché sur un nouvel accord de gouvernement défavorable aux travailleurs et travailleuses, et donc sur une riposte des organisations syndicales.
L’austérité au service de la guerre
L’ensemble des réformes proposées par le gouvernement De Wever est une attaque directe contre les conditions de vie des travailleurs et travailleuses. Par exemple le gouvernement prévoit la limitation du droit au chômage à 2 ans, le maintien du gel de l’indexation des salaires ou de repousser le début de la prime de travail de nuit de 20h à minuit.
Si l’austérité s’explique habituellement par la quête de profit des capitalistes ou par les mécanismes du marché, elle s’explique ici surtout par la remilitarisation de l’Europe. La Belgique prévoit le plus gros investissement dans l’armée depuis la guerre froide, en passant d’1,3% du PIB à 2%. Cette marche vers la guerre se fera donc au prix de notre sécurité sociale.
La réponse des travailleurs et des travailleuses
En opposition à ces projets de casse sociale, le front commun syndical a annoncé un agenda de lutte entre fin 2024 et début 2025 : une journée de grève nationale tous les 13 de chaque mois à partir de décembre. Cela a pris fin en mars. L’une des raisons étant de ne pas faire d’ombre au 8 mars [2] et donc de reporter l’action à la fin du mois. Ainsi le front commun syndical a organisé des journées de grève les 31 mars et 29 avril, ce qui maintient le rythme d’un jour de grève par mois.
Cependant la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique lâche le front commun syndical dès le 31 mars, préférant laisser une chance à la concertation sociale. L’un des aspects particuliers de la mobilisation fut la forme prise par ces actions : les grèves de décembre à février avaient pour but de rassembler un maximum de personnes pour la manifestation nationale à Bruxelles, tandis que la grève de mars avait pour but de permettre aux travailleurs et travailleuses de tenir des piquets devant leurs entreprises. La grève d’avril, quant à elle, se concentrait sur des manifestations régionales dans les différentes villes de Belgique.
L’une des grèves les plus bruyantes et énergiques de Belgique, par son impact et sa continuité, est celle menée par les conducteurs et conductrices de train. Elle ne suit pas l’agenda du front commun, car les syndicats qui l’organisent sont indépendants des syndicats interprofessionnels. En plus de lutter contre les mesures générales d’austérité du gouvernement, l’enjeu spécifique pour les cheminots et cheminotes se trouve dans les mesures attaquant leur régime préférentiel : le personnel roulant a l’avantage, par rapport aux autres employé·es, de pouvoir partir plus tôt à la retraite et en recevant une rémunération plus favorable que dans le reste de la fonction publique.
Il n’y a aucun mal à ce que des travailleurs et travailleuses partent plus tôt à la retraite et dans des conditions plus convenables. Cependant le risque tactique est qu’ils et elles se détachent du reste de leurs collègues fonctionnaires lors des négociations et obtiennent gain de cause pour leurs revendications spécifiques en échange de l’arrêt de la lutte aux cotés du reste des grévistes.
Une impression de déjà-vu
En 2011, un gouvernement comprenant des socialistes avait déjà fait usage de ses liens privilégiés avec le syndicat socialiste FGTB [3] pour négocier « dans le calme » une réforme repoussant l’âge de la retraite. C’est-à-dire trouver un compromis autour des négociations sans que les syndicats s’imposent par un rapport de force impliquant des grèves.
Aujourd’hui, bien que le Parti socialiste belge francophone ne soit pas dans la coalition Arizona, son « parti-frère » flamand Vooruit y participe. Le nouveau secrétaire général de la FGTB, Bert Engelaar, occupe une place en tant que représentant du syndicat au bureau de Vooruit et cela ne semble pas lui poser problème. L’indépendance syndicale, bien que dans les statuts, se pratique ici tout autrement qu’en France et cela constitue un risque que les partis du gouvernement corrompent les syndicats de l’intérieur par leur influence et leur proximité.

Les révolutionnaires en quête d’influence
Des initiatives faisant le pont entre l’aile gauche syndicale et le milieu associatif, comme les assemblées Commune colère (CC), ont émergé à Bruxelles et en Wallonie. Si pour certains et certaines ces assemblées constitueraient l’espoir de court-circuiter les bureaucraties syndicales et d’augmenter le rapport de force en faveur de notre classe, on ne peut pas dire que CC constitue pour l’instant une force organisationnelle capable de remplacer les coordinations des appareils syndicaux.
De plus, CC ne suit pas une route précise : différents sous-groupes de l’extrême gauche belge visent en son sein différents objectifs. Allant de l’appui de mots d’ordre relatifs à la chute du gouvernement jusqu’à pousser à remplacer les manifestations syndicales en appelant aux dates annulées par les syndicats (comme le 13 mars), en passant par l’établissement de groupe de délégué·es syndicaux de combat. Du coté des libertaires, nous pensons que nous manquons cruellement d’informations sur la manière dont se déroule une lutte aussi complexe.
Pour proposer une stratégie capable d’influencer les pratiques militantes, nous devons d’abord mieux comprendre la situation actuelle. Cela se fera en constituant nos réseaux et en s’implantant dans la lutte. Car ce n’est qu’en organisant les forces révolutionnaires que nous pourrons enfin contrer ce gouvernement.
Y. Ket (UCL Bruxelles)