Par Miguel Chueca

Indice de son évolution politique, Daniel Guérin republia plusieurs fois le même livre, modifié et retitré  : Jeunesse du socialisme libertaire (1959), Pour un marxisme libertaire (1969), et enfin À la recherche d’un communisme libertaire (1984).

Parler de marxisme libertaire, c’est pour l’essentiel rappeler l’effort mené par Daniel Guérin pour tenter une synthèse entre les deux courants qui s’affrontèrent au sein de la Première Internationale, où il ne voulait voir que des « frères jumeaux », séparés par de simples « querelles de famille ». C’est dans un recueil de textes paru peu après 1968, sous le titre Pour un marxisme libertaire, que Guérin s’essaya à une tentative qui paraissait s’accorder assez bien à l’air d’un temps, qui avait vu les drapeaux rouges et les drapeaux noirs fraterniser sur les barricades du mois de mai. […]

Que recouvrait ladite « étiquette » ? Dans un texte de 1966, il précise qu’il s’agit pour lui de rétablir les ponts entre ces « deux variantes d’un même socialisme », en réduisant – voire en supprimant – le fossé qui les sépare depuis des lustres, et que l’instauration du « formidable appareil étatique, dictatorial et policier » issu de la révolution d’Octobre n’a fait que creuser un peu plus.

À le lire de près, on voit cependant qu’il s’est beaucoup moins assigné pour tâche d’enrichir l’anarchisme par l’apport du matérialisme marxiste que de régénérer le socialisme et les marxismes d’alors par « l’injection d’une bonne dose de sérum anarchiste », qui leur permettrait de renouer avec l’esprit révolutionnaire des origines. Le sens de cette démarche n’a d’ailleurs rien d’étonnant puisque, comme il le rappelle lui-même, sa formation est marxiste et qu’il a fait ses premiers pas en politique au sein de la « famille » socialiste, concrètement du courant de la SFIO dirigé par Marceau Pivert.

Daniel Guérin (1904-1988)

Parmi les éléments qui, dans l’anarchisme, lui paraissent les plus « utilisables » pour une renaissance révolutionnaire du socialisme, il retient l’idée d’association ouvrière, le fédéralisme et les pratiques du syndicalisme révolutionnaire. […]

Les anarchistes, dans leur majorité, y virent quelque chose comme le mariage de la carpe et du lapin. Quant aux « marxistes », ils ne se soucièrent guère de ce « sérum anarchiste » qu’on leur proposait puisque la plus grande partie d’entre eux étaient, de toute évidence, réfractaires à des remèdes de ce genre. Il ne pouvait guère en aller autrement : réconcilier l’anarchisme avec le Marx « anarchiste » de la Guerre civile en France – ou celui qui, en 1844, écrivait que « l’existence de l’État et l’existence de la servitude sont inséparables » – est une pétition de principe, et s’il s’agit de le faire avec le Marx « jacobin » qui souhaite centraliser tous les moyens de production entre les mains de l’État, c’est une absurdité. Daniel Guérin, le premier, allait reconnaître cet échec d’assez bonne grâce quand, à une question qu’on lui posa plusieurs années plus tard sur le sens qu’il donnait à la formule, il admit qu’il lui préférait dorénavant celle de « communisme libertaire », sans qu’il ait renoncé pour autant à la réconciliation posthume de Marx et Bakounine. […]

  • Extrait de Réfractions n°7, automne 2001.

AL, Le Mensuel, janvier 2018