Table des matières :

1. Pour un féminisme matérialiste
2. Pour un féminisme offensif et révolutionnaire
3. La lutte contre le système de genre et le patriarcat
4. Non-mixité, autonomie et auto-détermination
5. Sororité et solidarité intersectionnelle
6. Anticapitalisme : exploitation salariale et domestique
7. Antifascisme
8. Autodéfense féministe
9. Autogestion

Féminisme Libertaire

Féminisme Libertaire Bruxelles est le front non-mixte, autogéré et autonome de l’Union Communiste Libertaire Bruxelles ayant la volonté d’amener des changements sociaux face aux oppressions et aux exploitations systémiques que vivent les femmes. Notre féminisme est matérialiste et révolutionnaire : nous entendons lutter contre le genre en tant que rapport de pouvoir à travers une solidarité intersectionnelle. Le projet révolutionnaire réside dans la reconnaissance de la classe politique opprimée et hétérogène que forment les femmes d’une part, et la volonté d’organiser des luttes collectives et de contribuer à des mouvements sociaux d’autre part. En outre, nous voulons un féminisme offensif qui lutte contre la précarisation des femmes et les processus d’exploitation matérielle engendrés par le capitalisme néolibéral globalisé. Nous revendiquons une pratique militante axée sur la lutte des classes: des classes sociales et des classes de genre. Par conséquent, notre engagement féministe est aussi un combat contre le fascisme car il est le bras armé de l’ordre social bourgeois, de l’état et de l’appareil policier.

1. Pour un féminisme matérialiste

Selon nous, le féminisme désigne les actions et les mouvements qui ont pour volonté d’amener des changements sociaux face aux oppressions et aux exploitations systémiques que vivent les femmes. Il est un double mouvement entre la pratique et la théorie : un mouvement social qui se construit sur le terrain des luttes, mais aussi un mouvement qui théorise les rapports sociaux sur base de nos expériences concrètes. Nous définissons le groupe social des femmes dans une perspective sociologique, non sur le critère biologique. L’identité de femmes désigne les personnes faisant l’expérience des inégalités du système de genre et se définit au-delà du corps au sens anatomique. En effet, les femmes trans subissent également la domination hétérosexiste. Nous sommes, par conséquent, liées par un même combat.

Il existe plusieurs courants au sein du féminisme radical – dont le féminisme matérialiste – qui vise le changement à la « racine du problème » et qui postule que les femmes forment une classe politique. Nous vivons dans un système où les hommes constituent une classe privilégiée, qui domine et exploite celle des femmes dans les différentes sphères de vie. Les rapports sociaux de genre sont ainsi des rapports de pouvoir.

Le féminisme matérialiste, inspiré du marxisme, analyse les classes (hommes/femmes, bourgeoisie/prolétariat) comme des classes antagonistes et historiquement construites. Les dominations ne sont pas naturelles, elles sont motivées matériellement. En effet, la domination patriarcale se manifeste à travers des pratiques et des conditions matérielles ancrées dans le quotidien des femmes (exploitation domestique, violences sexuelles, etc.).

Par conséquent, dans une perspective matérialiste, nous nous intéressons aux fondements du patriarcat – notamment à travers la division sexuelle du travail, l’idée de nature (croyance en  l’infériorité naturelle des femmes), l’hétéronormativité (croyance en la complémentarité naturelle des genres), les processus de la socialisation (qui permettent l’intériorisation de la domination et du sentiment de subordination) – et à son articulation avec le capitalisme. S’attaquer à la racine du patriarcat, c’est comprendre les bases de l’organisation sociale et, plus précisément, identifier les institutions et les mécanismes inhérents à sa structure et à la reproduction du sexisme.

Il est nécessaire de dépasser une lecture marxiste orthodoxe pour rompre avec certains raccourcis. Dans une perspective féministe, le travail et l’exploitation ne se limitent pas à la question salariale, mais intègrent la notion du travail domestique, gratuit, dévalorisé et invisible. S’il nous semble primordial de militer contre les inégalités salariales, la flexibilité des travailleuses, l’ouverture des droits sociaux sur base du travail rémunéré et la dévalorisation des secteurs dits féminins, nous considérons aussi que le privé est politique. La santé des femmes, l’avortement, les violences conjugales, le viol, le harcèlement sont autant de thèmes politiques pour engager un changement de l’ordre social.

8mars2017

2. Pour un féminisme offensif et révolutionnaire: des luttes collectives et des mouvements sociaux

En tant que féministes libertaires, contre l’état et le système capitaliste, nous voulons développer des stratégies afin de soutenir, contribuer et construire les mouvements sociaux et les luttes collectives contre le patriarcat, même à une échelle locale, à la mesure de nos forces organisationnelles. Nous portons un anarchisme social, nous luttons pour l’amélioration immédiate de nos conditions de vie, et ce parallèlement à notre projet de révolution sociale et libertaire. Toute expérience de l’autogestion et (petite) victoire sur le capital est à saisir pour tendre vers une société plus juste et égalitaire.

Le genre étant une construction sociale, nous entendons régulièrement parler de « déconstruction » (déconstruire ses privilèges, ses comportements oppressifs, etc.). Cependant, cette posture soulève plusieurs limites en tant que méthode de lutte contre le sexisme. D’une part, nous considérons que cette démarche de déconstruction de notre socialisation ne peut être que partielle car les structures sont intériorisées et « incorporées ». Ainsi même le corps est l’expression de notre position située (classe, genre, etc.). Par conséquent, tout n’est pas « déconstructible ». D’autre part, il s’agit d’un processus individuel. Quels changements sociaux en découlent pour l’amélioration des conditions matérielles d’existence des groupes opprimé·e·s ? Les mouvements ouvriers ont-ils patiemment attendu que la bourgeoisie déconstruise ses privilèges relatifs à la surexploitation des vies au nom de l’accumulation du capital ?

Par conséquent, nous voulons un féminisme qui dépasse les tentatives d’émancipation individuelle, lesquelles sont plus en adéquation avec le contexte néo-libéral. Nous considérons qu’il faut penser des stratégies collectives pour établir un rapport de force face aux classes dominantes – comme le prolétariat l’a fait avec le patronat – au travers l’organisation anarchiste. Nous voulons un féminisme révolutionnaire, qui, dans une perspective collective et intersectionnelle, s’attaque aux rapports sociaux de genre, de classe et de race. Aussi, nous revendiquons un féminisme qui lutte contre la précarisation des femmes et les processus d’exploitation matérielle engendrés par le capitalisme néolibéral globalisé.

Nous voulons que notre génération féministe se réconcilie avec une approche mouvementiste. Nous visons le dépassement d’une logique défensive des acquis obtenus lors des luttes sociales antérieures, nous voulons participer à des mouvements offensifs de femmes. Nous ne voulons plus d’un féminisme qui reflète principalement les expériences du milieu universitaire déconnecté des luttes des précaires par son isolement institutionnel ; ni d’un féminisme qui promeut un activisme symbolique et pacifique. Les idées et les pratiques du féminisme doivent continuer à vivre et à s’ancrer dans des luttes particulières. Nous revendiquons une pratique militante capable d’articuler un double mouvement entre l’action et la pensée dans une perspective collective et révolutionnaire ayant pour objectif la lutte des classes, incarnée dans l’articulation entre la lutte des classes sociales et la lutte des classes de genre.

Nous entendons par mouvement social les actions collectives et organisées qui ont pour but d’instaurer un changement du système et de ses institutions ainsi que de l’ordre social établi – c’est-à-dire les hiérarchies et les rapports sociaux de classe, de genre et de race institutionnalisés dans la société – afin d’abolir les inégalités. L’auto-organisation et les actions collectives constituent les moyens des classes dominées pour établir un rapport de force, et améliorer leurs conditions de vie, face aux classes dominantes. Concrètement, les mouvements sociaux désignent historiquement les grèves comme moyen d’action contre le capital, mais aussi les manifestations, les insurrections, l’occupation, le sabotage, le blocage, etc. Aussi, en tant que femmes, nous considérons que les mouvements sociaux mobilisent autant la lutte des classes sociales que la lutte entre les classes de genre. Les mouvements sociaux se caractérisent ainsi par leur dimension collective, revendicative, leur portée révolutionnaire et la convergence des luttes (travailleur·euse·s, ouvrier·ère·s, sans-papier·ière·s, étudiant·e·s, femmes, racisé·e·s, lesbiennes, trans, etc.).

8 mars 2017

3. La lutte contre le système du genre et le patriarcat

Nous luttons contre le patriarcat et le genre en tant que système. Nous considérons que le genre n’est pas un concept abstrait mais qu’il décrit au contraire les conditions objectives et matérielles de l’oppression (la division inégalitaire du travail, la culture du viol, etc.).

Nous nous opposons à un déterminisme biologique et à vision essentialiste du genre car nous considérons qu’il n’existe pas de différences naturelles entre les hommes et les femmes. Le modèle « séparé mais égaux », véhiculé par l’argumentaire antiféministe et réactionnaire, repose sur l’idée qu’il existerait une nature féminine et une nature masculine. Des sphères d’activités sont ainsi attribuées entre les hommes et les femmes sur la seule base de leur biologie. Elles seraient égales en raison de leur complémentarité mais en réalité le genre féminin fait l’objet d’un processus de dévalorisation et d’infériorisation. La contrainte à l’hétéronormativé profite au système patriarcal, et la croyance en une complémentarité naturelle entre les hommes et les femmes pose l’hétérosexualité comme la norme dominante. Toute autre sexualité est perçue comme une déviance dans une société où toute personne est présumée hétérosexuelle : c’est l’hétérosexisme. De plus, croire en l’idée de nature pour justifier l’oppression des femmes, c’est entretenir l’illusion que le changement est utopique.

Au contraire, nous défendons l’idée que le genre est une construction sociale : les comportements et les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes sur base de leur sexe biologique et des différences physiques sont les produits de la socialisation. Nous avons ainsi intégré très tôt des valeurs, des normes et des règles assignées à notre sexe, ce qui influence souvent inconsciemment nos choix et nos goûts. Notons que la binarité du sexe, au sens anatomique mâle ou femelle, est également une construction sociale car d’autres facteurs pourraient être pris en considération comme les hormones ou l’ADN. Cette construction sociale est stigmatisante, voire violente, pour les personnes intersexuées dont le sexe est indéterminé.

En outre, le genre ne se contente pas seulement d’attribuer des qualités différenciées. Il est également un rapport de pouvoir, un rapport hiérarchisé, entre les hommes les femmes, qui s’exerce, par son caractère quotidien, tant dans la sphère publique que privée (au travail, à école, dans la rue, les loisirs, la famille, la sexualité, etc.). Les rapports sociaux de genre sont des rapports de pouvoir. Nous arrivons à la définition du patriarcat : un système qui positionne un groupe social comme dominant, les hommes, et un autre comme dominé, les femmes. Il divise les femmes et les hommes dans des sphères distinctes, hiérarchisées et inégales. Il permet de maintenir les femmes dans des situations où le pouvoir est détenu par les hommes.

Le patriarcat est un système de privilèges dans lequel les hommes, en tant que classe de genre, sont avantagés comparativement à la classe des femmes. Nous parlons délibérément du genre en termes de classes sociales et, par conséquent, de lutte de classes. Le groupe des femmes constitue une classe car certaines conditions objectives et matérielles sont partagées par ce même groupe. Ainsi, notre analyse pose les femmes en tant que classe politique dominée par les hommes. Dans ce système, les classes sont vues comme antagonistes car leurs intérêts sont antinomiques. Même si les pouvoirs et les privilèges sont répartis de manière inégale entre les hommes, ils demeurent privilégiés, volontairement ou non, en raison de la position sociale qu’ils occupent. Cette analyse en termes de classes politiques appelle à la mise en œuvre de solutions collectives.

Le patriarcat est instrumentalisé et entretenu par le système capitaliste. Il s’agit d’un mode de production qui permet l’exploitation de toutes les travailleur·euse·s afin d’assurer sans cesse un taux de profit élevé et l’accumulation du capital pour une minorité. Le capitalisme est un système global capable de s’immiscer dans les rapports sociaux dont font partie les rapports sociaux de genre. Le patriarcat est un système dynamique qui s’adapte aux différents contextes, aux nouveaux enjeux tout en préservant les privilèges masculins. L’oppression et l’exploitation des femmes sont antérieures au capitalisme mais celui-ci utilise, alimente et renforce le patriarcat afin de gérer l’ensemble de la force de travail à son avantage. L’abolition du système capitaliste ne mettra pas un terme à l’oppression et l’exploitation des femmes malgré leur fondement économique. Les femmes ne pourront s’émanciper du capitalisme sans abolir le patriarcat et les autres systèmes d’oppressions. La révolution sera féministe ou elle ne sera pas !

C’est la raison pour laquelle nous nous mobilisons contre le patriarcat, le système du genre et les inégalités qu’il engendre dans la perspective d’un féminisme radical et matérialiste. La société cherchera inlassablement à nous assigner à une catégorie binaire, « homme » ou « femme ». Le projet révolutionnaire se situe dans la reconnaissance de la classe politique opprimée et hétérogène que forment les femmes d’une part, et la volonté d’organiser des luttes collectives d’autre part. Nous ne nous contenterons pas de prendre des libertés avec le système du genre par un démantèlement ou par la transgression de la norme sans objectif politique : nous voulons nous en libérer. Nous revendiquons une société sans genre, c’est-à-dire sans rapport de pouvoir entre les hommes et les femmes en tant que groupes socialement construits.

FéminismeLibertaire

4. Non-mixité, autonomie et auto-détermination

La non-mixité politique, nommée aussi la mixité choisie, est une forme de regroupement volontaire de personnes qui partagent au moins une oppression commune. Il s’agit d’un outil politique dont le but est de garantir l’autonomie des luttes, l’auto-organisation et l’auto-détermination d’un ou plusieurs groupes sociaux spécifiques : femmes, racisé·e·s, précaires, ouvrier·ière·s, etc. Elle est la pratique de base de toute lutte menée par les opprimé·e·s pour les opprimé·e·s. La non-mixité n’est pas un obstacle à la collaboration ou à la délégation de tâches avec des espaces mixtes si nécessaires.

Dans la perspective matérialiste où l’on considère que le féminisme est un mouvement qui existe par et pour les femmes, les hommes ne sont pas féministes parce qu’ils ne sont pas des femmes. Si les hommes ont des responsabilités dans le combat pour l’égalité, leur rôle se distingue de celui des femmes. Seules les femmes peuvent saisir pleinement le vécu et l’expérience de l’oppression patriarcale afin de mener des luttes pour leur émancipation. C’est pourquoi, nous rejetons la légitimité des hommes à parler en notre nom de nos réalités, de nos préoccupations, de nos émotions, de nos craintes, nos colères, etc. Au sein même de nos organisations anarchistes et libertaires, les militants, socialisés au sein d’une société sexiste, reproduisent des comportements dominants et oppressifs. Par ailleurs, la non-mixité permet également de s’organiser contre le machisme ambiant dans le milieu militant (paternaliste, masculiniste, antiféministe, manarchiste*, faux alliés).

Nous pouvons faire une analogie entre les rapports sociaux de genre, entre les hommes et les femmes, et les rapports sociaux de classe, entre les patron·ne·s et les travailleur·euse·s. Par exemple, nous estimons que les travailleuses·eur·s ne peuvent s’organiser avec les patron·ne·s pour enrayer la détérioration de leurs conditions de travail, d’une part à cause du rapport de pouvoir manifeste qui existe entre les deux groupes, et d’autre part parce que cette collaboration serait contraire aux intérêts et aux privilèges patronaux.

La non-mixité est encore fréquemment contestée et remise en question. Or, elle a déjà été pratiquée à travers différents mouvements sociaux tels que le mouvement américain pour les droits civils ou le Mouvement de Libération des Femmes. Elle avait même été expérimentée avant d’être conceptualisée et théorisée, dans les années 70, par les Mujeres libres au cours de la révolution espagnole de 1936 ou les Suffragettes dans la lutte pour une égalité de suffrage. Par conséquent, la non-mixité politique est un héritage à historiciser et non une méthode organisationnelle développée récemment. Notons qu’inversement, les « boys’ club » ou « entre soi masculin » ne font pas l’objet de telles critiques. Pourtant, ce sont des espaces dominés par les hommes où le pouvoir est détenu par les hommes et est entretenu par la sous-représentation des femmes (par exemple : la sphère politique, les filières scientifiques, etc.).

La non-mixité est envisagée afin de créer des espaces de libre expression et des « safe space ». Le concept de « safe space » désigne les espaces qui ont pour volonté de mettre en place les conditions nécessaires à la propension d’un sentiment de sécurité, de respect et de bien être pour toute personne victime d’une ou plusieurs oppressions systémiques. Un « safe space » peut être recherché à travers une démarche procédurière et réglementée à l’égard des comportements oppressifs issus des rapports de domination. La non-mixité est une forme de protection, plus que de ségrégation. Il est indispensable de se sentir en sécurité pour pouvoir échanger sur nos expériences et nos vécus sans mécanisme d’auto-censure. Le machisme et le sexisme sont omniprésents et s’immiscent dans tous nos milieux de vie. Il touche parfois à des questions intimes, « taboues » ou traumatiques.

Aussi, la non-mixité sert à renforcer la confiance de soi et l’estime de soi, notamment par la réalisation de certains mandats et responsabilités. Les tâches les plus valorisées ont tendance à être occupées par les militants masculins. Elle est l’occasion d’un apprentissage et d’un partage plus horizontal des connaissances et des pratiques acquises. Il s’agit parfois simplement de s’exercer à la prise de parole en public. Dans les espaces mixtes, les temps de parole sont souvent accaparés par les hommes, et les femmes ont trois fois plus de chance d’être interrompues.

En outre, dans une société où la rivalité entre femmes est perpétuellement encouragée pour l’attention masculine, la non-mixité est aussi un haut lieu de développement de la sororité. La non-mixité permet de prendre davantage conscience de l’oppression dans des sociétés où les structures sont pensées par les hommes pour les hommes. Nous avons intériorisé le regard et le jugement masculin qui nous contraignent souvent de manière inconsciente. Dans les groupes mixtes, la vision dominante prime sur celle du groupe dominé et, par conséquent, reproduit les mécanismes de domination. La non-mixité nous fournit l’espace dont nous avons besoin pour nous définir et définir notre oppression de manière libre et autonome sans l’approbation ou la désapprobation de l’oppresseur. De plus, l’absence de l’oppresseur facilite l’élaboration de nos propres stratégies, de nos revendications, de nos actions, de nos priorités pour lutter contre le patriarcat, l’antiféminisme, la misogynie, les agressions, etc.

SolidaritéAvecKara

NOTE POUR LES ALLIÉ·E·S : COMMENT PUIS-JE M’INVESTIR?
  • Prendre conscience de mes privilèges.

  • Respecter et reconnaître les espaces non mixtes.

  • Être autonome dans mon apprentissage.

  • Ne pas participer à une dynamique d’entre soi masculin.

  • Rompre avec une logique de solidarité masculine et d’impunité des camarades.

  • Comprendre quand ma présence est souhaitable et quand elle ne l’est pas.

  • Savoir quand et comment parler ou se taire.

  • Lutter contre les inégalités dans toutes les sphères de ma vie : le couple hétérosexuel, les organisations politiques, le travail, l’espace public, etc.

  • Participer à un climat inclusif et agréable pour les militantes (par exemple : ne pas encourager une  blague ou un commentaire sexiste).

  • Écouter les remarques et les demandes de remise en question sans monopoliser le temps et l’énergie de son auteure.
  • Sensibiliser et conscientiser d’autres hommes au sexisme afin que les femmes puissent prendre le temps de s’organiser.

Nous vous encourageons à lire notre charte* contre les comportements sexistes et oppressifs destinée aux militant·e·s de nos organisations.

5. Sororité et solidarité intersectionnelle

La sororité désigne le sentiment et l’expression de la solidarité politique entre femmes* parce qu’elles partagent l’expérience commune de l’oppression patriarcale. Cette idée est née dans le contexte du mouvement féministe radical des années 70 : « sisterhood is powerfull » (c’est-à-dire la sororité est puissante, source de pouvoir). Elle permet de rompre l’isolement et de détruire la rivalité et la compétitivité instaurées entre les femmes pour le pouvoir masculin. Se reconnaître en tant que sœurs politiques unies est une nécessité afin de penser un mouvement féministe de masse quand le sexisme est un système social structurant nos sociétés.

Malgré tout, la notion de sororité ne doit pas occulter les expériences spécifiques que les femmes font du sexisme. Nous vivons des réalités différentes et plurielles face à la complexité du système de dominations. Il existe des rapports de pouvoir entre les femmes elles-mêmes en raison d’oppressions multiples de race et de classe et des discriminations sur base de l’identité de genre, de l’orientation sexuelle, de la génération, de l’invalidité, du niveau d’éducation, etc. Le genre est un rapport de pouvoir imbriqué dans d’autres rapports de pouvoir.

Dans cette perspective, nous devons développer les solidarités et reconnaître l’autonomie des luttes de toutes les femmes. L’unité ne pourra se concrétiser sans la reconnaissance des privilèges et des divisions et l’élaboration de mesures concrètes pour les éliminer. Ainsi, nous parlons aussi de solidarité intersectionnelle en référence au concept d’intersectionnalité* qui désigne une perspective en terme d’intersection des différents systèmes d’oppression. Les luttes ne doivent pas être hiérarchisées ou priorisées car les systèmes d’oppression sont interreliés et se renforcent mutuellement. C’est l’image de la toile d’araignée dont chaque fil symbolise un système d’oppression. On ne peut abolir le patriarcat sans abolir les différents systèmes d’oppression (le classisme, l’homophobie, le colonialisme, le racisme, le validisme, etc.) qui engendrent aussi des inégalités envers le groupe social des femmes. La libération de toutes les femmes passera par l’élimination de tous les systèmes d’oppression.

Par ailleurs, notre solidarité est internationale. Face à l’échec des organisations gouvernementales et des institutions dites démocratiques, face à l’autoritarisme et à la répression de nos sociétés, nous soutenons l’idée d’un féminisme organisé au niveau international afin de penser des mouvements internationaux contre l’oppression et l’exploitation systémiques et les obstacles structurels pour l’émancipation, selon la diversité des contextes. Cette démarche s’inscrit à travers la solidarisation des initiatives et des groupes autonomes, par des rencontres féministes internationales, etc.

Manif contre les violences policières
NOTE POUR LES ALLIÉ·E·S : COMMENT PUIS-JE M’INVESTIR?
  • Ne pas se satisfaire d’inviter des collectifs de personnes non-blanches à un événement ou une initiative mais créer des espaces de participation inclusif dès le début.

  • Refuser une universalisation et une occidentalisation du féminisme (vision occidentale du monde) car les féminismes évoluent selon les expériences matérielles et les contextes.

  • Ne pas défendre une vision linéaire de l’émancipation.

  • Ne pas s’appuyer sur notre propre expérience de l’émancipation pour imposer nos conceptions à d’autres comme un copier/coller.

  • Reconnaître que les luttes féministes sont plurielles, mouvantes et hétérogènes.

  • Valoriser les différentes expressions et modalités de lutte contre le patriarcat.

  • Éviter d’imposer son agenda politique à d’autres femmes.

  • Croire en l’unité du féminisme sans chercher son homogénéisation.

6. Anticapitalisme : exploitation salariale et domestique

Notre féminisme est un féminisme de luttes des classes. Emplois à temps partiel (qui octroient des droits sociaux partiels), famille monoparentale, travail domestique et charge mentale à plein temps, surchômage, pensions faibles, situations d’emploi en intérim, plafond de verre, risques de harcèlement et de violences de genre, maladies cardiovasculaires et professionnelles ainsi que troubles psychologiques sont autant de fardeaux affectant prioritairement les femmes, et particulièrement les femmes précaires. Le taux de mortalité serait trois fois plus élevé chez les femmes ouvrières que chez les femmes de la classe bourgeoise1. Une situation injuste et révoltante alimentée sans cesse par le capitalisme.

UnionDesBloqueureuses

GENRE ET CAPITALISME

Le féminisme matérialiste des années 70 dénonçait déjà l’articulation entre le système patriarcal et le système capitaliste dans une perspective marxiste. Le patriarcat est imbriqué dans le mode de production capitaliste. En effet, les normes et les qualités attribuées aux femmes, sur base de l’idée de nature, ont conduit à une acceptation de leur assignation à la sphère domestique, qui justifie la précarité de leurs conditions de travail et le difficile accès à la sécurité sociale. Les systèmes de domination et d’exploitation s’opèrent par des pratiques matérielles et des contraintes objectives qui pèsent sur les femmes.

Un élément central de l’oppression des femmes est la division sexuelle du travail qui s’organise sur base des inégalités de genre. Il y a une distinction et une hiérarchisation entre le travail productif (masculin) et le travail reproductif (féminin). Les hommes sont amenés à assumer les activités de production qui sont rémunérées, de l’ordre de la sphère publique et valorisées socialement. Alors que les femmes sont assignées au travail domestique – invisible, non rémunéré et non reconnu – qui s’exerce au sein la sphère privée. Le travail domestique est gratuit et dévalorisé car il ne produit pas directement (seulement indirectement) des biens susceptibles d’être échangés sur le marché. Les femmes assurent ainsi la reproduction de la force de travail et contribuent à l’activité économique du conjoint.

Par conséquent, l’institution du mariage hétérosexuel et de la famille sont des lieux d’exploitation domestique et de rapport de pouvoir. Même si le capitalisme va permettre l’accès des femmes au travail, il reste très attaché à l’institution de la famille traditionnelle et nucléaire car elle permet de faire des économies (la sécurité sociale étant liée à l’emploi rémunéré et non au travail domestique, les dépenses dédiées aux services publics sont réduites) et de congédier les femmes à leur « nature maternelle » en cas de récession économique.

Cette articulation du capitalisme et du patriarcat fait des femmes une main d’œuvre sous payée, flexible et exploitable en période économique prospère. Les inégalités entre les classes de genre permettent de diviser celle des travailleuse·eur·s. La division sexuelle du travail a des conséquences économiques sur les revenus mais aussi sur les droits sociaux, reliés à l’emploi, desquels dépendent la santé, la pension ou le chômage. Les écarts salariaux persistent encore actuellement : le salaire des femmes est toujours en moyenne 25% moins élevé que celui des hommes. A l’inverse, en période de crise, elles sont congédiées dans les foyers, pour se consacrer pleinement au travail domestique, et constituent une main d’œuvre de réserve en période de crise.

La division sexuelle du travail et l’assignation au travail domestique engendre des inégalités de genre dans l’accès à l’emploi et des inégalités dans le travail. La participation des femmes au marché de l’emploi est limitée: présomption à la maternité, participation par intermittence, temps partiels (il concerne 31% des femmes contre 8% des hommes dans l’Union européenne en 2009), possibilités de promotions et de carrières inégales, etc.

Le capitalisme est en mutation permanente, il se renouvelle et s’adapte aux circonstances contextuelles pour sa survie à travers la recherche du profit. Aujourd’hui, nous connaissons une période de crise structurelle depuis les années 80. Mais le double salaire (celui des deux partenaires) et la surexploitation des femmes, tant dans la sphère privée que publique, sont bien souvent des conditions à la survie des familles au détriment du bien-être et de la santé. Le système capitaliste se maintient malgré toutes ses contradictions. Les femmes portent le poids des transformations du marché du travail face à une conjoncture marquée par la rareté des emplois et l’absence d’infrastructures appropriées.

LE TRAVAIL DOMESTIQUE

Le travail domestique désigne ce qui est effectué gratuitement pour autrui. Cela s’étend des diverses tâches ménagères à la gestion financière en passant par l’entretien des relations sociales ou encore le soin aux enfants et aux proches. Il comprend également la notion de charge mentale, c’est-à-dire la planification et l’organisation quotidienne de la vie familiale. Par conséquent, la définition du travail doit s’étendre au-delà de son caractère salarial et inclure la dimension du travail domestique, longtemps ignoré, qui constitue également une forme de l’exploitation.

Parallèlement au mode de production capitaliste, il existe un mode de production domestique à travers lesquelles les femmes effectuent des services en échange, non pas d’une rémunération, mais d’un entretien (non garanti) qui pourvoit à leurs besoins. La dépendance économique des femmes est structurelle. L’activité salariale et le travail domestique présentent un continuum : même quand les femmes disposent de revenus propres, à travers leur implication sur le marché du travail, elles continuent d’assumer la majorité des responsabilités familiales.

Le travail domestique fait l’objet d’une appropriation par les hommes car il leur permet de se décharger des diverses contraintes et d’investir librement leurs activités professionnelles, sociales et culturelles. Même si les hommes s’investissent davantage aujourd’hui, les femmes consacrent encore le double du temps au travail domestique. Outre la question d’une répartition égalitaire du temps de travail, une répartition genrée et hiérarchique des responsabilités familiales persistent et la charge mentale demeure le devoir tacite des femmes. La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale est un enjeu central pour les femmes car il est un argument de culpabilisation mais aussi d’évaluation de leur valeur dans une société patriarcale (l’injonction à être une bonne mère et une bonne épouse).

Les hommes et les femmes sont amené.e.s à exercer des activités professionnelles différentes. Les secteurs sur-représentés par les femmes sont marqués par la précarisation et des emplois sous-payés (auxiliaires de vies, aides ménagères, aides-soignantes, garde d’enfants, postes en supermarchés, etc.). Par ailleurs, le travail du care – qui peut se définir comme le soin aux autres – met en évidence les inégalités de genre, de race et de classe. Si le care incombe généralement aux femmes en raison de la division sexuelle du travail, il est encore plus à la charge des femmes non blanches et/ou sans-papières. Les conditions de travail des filières professionnelles dites féminines se caractérisent par la disponibilité, la flexibilité, la polyvalence, la répétitivité, la compétition, l’atomisation, l’anxiété, l’accumulation des heures supplémentaires et la charge émotionnelle et affective

QUELLES PERSPECTIVES ?

Créer des solidarités! Dévoué à la logique capitaliste, l’état se déresponsabilise par une insuffisance des structures collectives et publiques et un transfert des responsabilités. Nous devons substituer une partie du monde au système marchant. Nous avons besoin de créer des espaces autogérés pour mettre en place des services populaires en matière de santé, de soins, de cantines, de logements, de loisirs, de savoirs, d’éducation, etc. Nous voulons choisir nos perceptives d’avenir. Notre autonomie et notre émancipation ne dépendent pas d’un problème d’organisation individuelle mais de l’absence de solutions collectives adaptées aux besoins de la diversité des familles.

Nous prendrons ce qui nous revient! Nous prendrons tout ce que la bourgeoisie nous refuse et tout ce qui lui permet d’affirmer ses privilèges : nous prendrons tout cela gratuitement et librement, et le rendrons à la collectivité pour qu’il soit accessible à tou·te·s. Contre la précarité du capitalisme néolibéral, nous n’attendons rien des patrons, des bourgeois, des politiciens. Nous ne comptons que sur notre propre force pour instaurer un changement social.

Tout bloquer devient vital! Nous devons accentuer la crise du capitalisme par tous les moyens nécessaires, en bloquant toutes ses réformes et en creusant ses contradictions. Nous devons mettre en échec ses réformes, qui précarisent toujours plus les populations, pour l’empêcher de s’adapter perpétuellement. Quand nous pensons la grève, nous pensons aussi la grève du travail domestique au cœur de la stabilité et de l’accroissement des richesses de nos sociétés. La grève générale des femmes sera synonyme de chaos et de la désorganisation d’un ordre social trop souvent considéré comme acquis!

7. Antifascisme

Nos luttes féministes sont aussi antifascistes. En effet, l’extrême droite renforce les rôles genrés de manière essentialisante, à travers notamment l’idée d’une « complémentarité naturelle » entre les hommes et les femmes (par exemple les femmes sont dévouées à l’espace privé et les hommes à la sphère publique). Elle défend une vision de la famille hétéropatriarcale et normative – qui contribue à la haine et l’exclusion des LGBTIA – car celle-ci est une institution centrale au sein du système capitaliste. Historiquement, le fascisme a toujours prôné le sens du sacrifice des femmes pour la patrie, le cantonnement de la femme au rôle de mère et son assignation à la famille et au foyer. Les normes de féminité sont définies en opposition aux représentations de la masculinité et d’un idéal de virilité. Nous refusons toute forme de nationalisme car il nous réduit à un rôle de mère et d’épouse et justifie notre exploitation et notre domination.

Le fascisme est le bras armé de la bourgeoisie nationale et de l’état à travers un mode de contrôle politique autoritaire et totalitaire. Il a pour volonté de préserver l’ordre social patriarcal, raciste et les privilèges patronaux, particulièrement en cas de crise économique en palliant à l’appareil répressif d’état. Ainsi, le fascisme dans nos quartiers ne se réduit pas seulement à des discours, il se matérialise en des violences physiques et psychologiques envers les femmes et les LGBTI, en plus des violences sociales et économiques. Nous refusons de nous soumettre aux impératifs de la bourgeoisie, aux violences fascistes et policières symptômes de la barbarie du système capitaliste.

Aussi, les organisations d’extrême droite perpétuent la culture du viol qui peut être définie comme l’adhésion d’une société à de nombreux mythes sur le viol. Elles instrumentalisent les agressions sexistes à des fins racistes. Selon elles, les violences sexuelles et domestiques sont commises en raison de problèmes liés à l’immigration non-blanche ou à l’Islam. Or dans une société patriarcale, tous les hommes sont des violeurs potentiels, sans distinction de classe ou d’origine. Les violences sexuelles se manifestent uniformément dans tous les milieux socio-culturels et sont le fait de proches dans 90% des cas. En niant la réalité de la majorité des victimes et des survivantes de ces violences, l’extrême droite entretient la culture du viol en adéquation avec sa tradition antiféministe. Nous refusons d’occulter la réalité des survivantes* et de servir de prétexte au racisme.

En outre, les militants d’extrême droite ont déjà montré qu’ils étaient capables d’utiliser le viol ou la menace du viol (à l’image des nombreuses intimidations de militantes antifascistes sur internet) comme une arme de la domination masculine. En agressant ou menaçant une de nos sœurs, ils veulent nous humilier, nous objectiver, nous détruire, nous renvoyer à ce qu’ils considèrent être notre infériorité naturelle, nous priver d’un sentiment de sécurité. Nous considérons, au contraire, que ce sont les agresseurs qui devraient être humiliés et souillés. Nous voulons que la honte change de camp !

Traditionnellement, l’extrême droite s’oppose activement au droit à l’avortement libre et gratuit, à l’accès à l’éducation sexuelle et à la contraception. Cette position exprime le mépris et la culpabilisation des discours de droite à l’égard des femmes et des personnes opprimées, sans respect pour leur choix de vie, leur autonomie, leur identité de genre ou leur orientation sexuelle. Dans l’imaginaire fasciste, la préservation de la blancheur passe par l’intermédiaire de nos ventres réduits à une fonction de reproduction au service de la nation. Nous refusons que nos corps et nos vies servent de champs de bataille.

MonCorpsMonChoix

Militer pour disposer librement de nos corps, de nos sexualités, de nos vies, c’est également condamner les agressions fascistes envers les personnes musulmanes ou désignées comme telles (à l’instar des arrachages de voile institutionnels ou non) et les comportements haineux à l’encontre des femmes sans-papières, subissant l’islamophobie, la misogynoire* et les autres formes de racisme. L’engagement identitaire, en faveur d’une identité européenne unique, blanche et chrétienne, promeut le racisme dont l’islamophobie. Nous refusons toute forme de nationalisme car nous refusons de nous désolidariser de nos sœurs en créant des coupables et des divisions au sein même de notre classe.

Pour ces raisons, nous devons nous emparer de la lutte antifasciste, trop souvent accaparée par les camarades de nos milieux militants (entendons les mecs majoritairement blancs) qui ont tendance à valoriser la virilité la plus conventionnelle. La lutte contre le fascisme est une lutte contre le patriarcat, le racisme, l’état et la bourgeoisie !

8. Autodéfense féministe

Nous prônons l’autodéfense féministe et populaire face aux attaques sur nos corps et nos vies, qu’elles soient perpétrées dans nos lits, dans les espaces militants ou dans les rues. Les femmes subissent des violences quotidiennes (symboliques, économiques, verbales, psychologiques, spirituelles, voire physiques et sexuelles) mais la société les contraint à une réponse pacifiste. Les femmes devraient se contenter de porter plainte quand 2% des agresseurs seulement font l’objet d’une condamnation pour violences sexuelles. Nous voulons une culture du consentement, à l’inverse de la culture du viol dans laquelle nous survivons, qui banalise les violences sexuelles et déresponsabilise les auteurs. Les violences sexuelles sont normalisées grâce aux structures sociales, dans des sociétés où les filles apprennent à mettre des mécanismes de défense en œuvre pour ne pas se faire violer au lieu d’éduquer les garçons à ne pas violer.

FeminismeLibertaire

Les hommes, et particulièrement les hommes blancs – tout comme l’appareil policier, matérialisation du pouvoir de l’état – bénéficient de la violence légitime, en l’associant à la virilité, une qualité genrée et masculine. A contrario, la féminité est généralement associée à la passivité et la soumission. Ainsi, se réapproprier une forme de violence, dont nous avons été dépossédées et exclues, constitue un moyen parmi d’autres pour perturber les mécanismes du pouvoir et l’ordre social. Les suffragettes britanniques, les militantes des Black Panters, les combattantes kurdes au Rojava, les Zapatistes, les Palestiniennes, les femmes du Gulâbî Gang sont autant d’exemples concrets de résistance non pacifistes. Condamner et exclure les pratiques d’autres militantes, parce qu’elles sont socialement moins acceptables dans une « sociale-démocratie », s’inscrit dans une logique sexiste et de division entre les femmes. Notons que la mise en place d’un groupe de boxe non-mixte et autogéré est une initiative intéressante dans cette logique de réappropriation de la violence pour se renforcer émotionnellement et physiquement, pour prendre confiance en soi et en notre capacité d’action.

Par autodéfense féministe, nous ne pensons pas seulement à l’autodéfense physique mais aussi à l’autodéfense verbale (exprimer verbalement ses limites, apprendre à dire « non » sans culpabiliser), émotionnelle (apprendre à faire avec ses émotions pour contrôler nos réactions) et mentale (s’octroyer le droit de se défendre, par tous les moyens nécessaires) pour désamorcer une situation dangereuse ou inconfortable. Nous mettons déjà quotidiennement en place des stratégies afin de restreindre notre sentiment d’insécurité, pour résister et nous protéger dans toutes les sphères de notre vie. Nous avons chacune développé nos limites et techniques (parfois inconsciemment), en raison de notre vécu, nos savoirs et nos capacités, qui doivent être respectées.

En contrepartie de notre servitude, les hommes ont pour rôle de protéger les femmes des diverses violences. Cependant, nous savons qu’il n’en est rien. Les hommes de nos vies sont généralement les premiers auteurs des violences. Le foyer constitue un espace particulièrement dangereux pour les femmes dans un modèle hétéronormatif. Les violences conjugales forment un phénomène massif dans un continuum de la domination masculine au sein de la sphère privée. Les violences sexuelles sont commises par des personnes proches de la victime dans la majorité des cas. Le mariage incarne l’institution qui offre les conditions matérielles de l’exploitation domestique et sexuelle. Le slogan « Ne nous protégez pas, on s’en charge ! » sonne juste car nous n’attendons pas grand-chose de nos oppresseurs, nous ne comptons que sur la sororité et le développement de la confiance en nous à travers elle. Notre seule protection face au patriarcat passera par l’émancipation d’absolument toutes les femmes : « Une violence faite à l’une d’entre nous est une attaque contre toutes. »

9. Autogestion

L’autogestion est un modèle d’organisation basé sur des pratiques collectives, égalitaires et solidaires. Elle suppose l’auto-organisation et le refus des hiérarchies, de l’autoritarisme et de toute forme de domination. L’autogestion a pour but l’émancipation de tou·te·s. Ce mode d’organisation exige de l’investissement, de la participation et une conscience des enjeux politiques ; contrairement aux institutions autoritaires qui se basent sur la passivité, la soumission et décourage l’autonomie individuelle et collective.

Nos méthodes de luttes doivent être en adéquation avec nos objectifs politiques : une société sans classe, sans genre, sans état et sans rapport de pouvoir. L’exploitation et la domination produisent des résistances, souvent nourries par un désir d’une autre société où les rapports sociaux seraient plus égalitaires et démocratiques. Il n’y a pas d’autogestion sans autonomie par rapport à l’Etat, au capital et à toute forme de pouvoir dominant.

Mais pour réellement mettre en pratique l’autogestion, il est indispensable de ne pas se contenter de quelques vagues principes théoriques. L’absence de structure ou d’outil organisationnel perpétue les rapports de domination (au sein même de nos organisations anarchistes) et ne permet pas la participation de tou-tes aux prises de décision. L’autogestion consiste, par conséquent, à la mise en place d’un fonctionnement clair, par une meilleure répartition des mandats, afin que chacun·e puisse participer pleinement aux activités du collectif, mais aussi une meilleure répartition de la parole qui tienne compte des inégalités de genre. Nous voulons éviter la reproduction de la division sexuelle du travail dans notre collectif. Les femmes sont encouragées à produire des analyses théoriques, à penser des plans d’action, à développer le réseau et le capital social de l’organisation, etc.

L’autogestion vient de la volonté de posséder un outil égalitaire. Au jour le jour, nous essayons de l’expérimenter, ce qui passe notamment par une rotation permanente des tâches. Il n’y a pas d’un côté celleux qui pensent et de l’autre des petites mains qui se contentent de s’occuper des tâches techniques. Il importe de partager toutes les tâches notamment en diffusant les savoirs et savoir-faire entre chacun·e et en évitant l’appropriation par les hommes des mandats les plus valorisés socialement.

L’autogestion réfute le principe de hiérarchie. Personne n’a de place supérieure (que cela passe par l’élection ou par une personnalité charismatique). Toutes les décisions passent par la discussion des membres du collectif. L’autogestion nécessite néanmoins une conscience collective pour que les diverses tâches et la charge mentale de l’organisation ne reposent pas sur les mêmes personnes.

L’autogestion ne s’arrête pas à l’aspect politique, la dimension économique fait partie intégrante du concept autogestionnaire. L’autogestion a pour objectif que l’économie soit dirigée par celleux qui sont directement lié·e·s à la production, la distribution et l’utilisation des biens et des services. Les classes sociales, qui produisent la richesse collective, aujourd’hui sans pouvoir, devraient être amenées à gérer l’économie (les entreprises, les services, etc.) et plus généralement la société, en proposant la démocratie directe comme modèle de fonctionnement des institutions. Ceci suppose l’appropriation collective directe des outils de production et des moyens d’échanges.

La mise en pratique d’une conception autogestionnaire de la société concerne aussi les pratiques de luttes. Favoriser les formes de démocratie directe (assemblées générales des collectifs de travail, comités de grèves, assemblées générales interprofessionnelles…), c’est œuvrer à l’apprentissage de l’autogestion dans une perspective plus globale, et ce à travers les luttes, en favorisant leur autonomie vis-à-vis de toutes forces extérieures (politiques, étatiques, gouvernementales…) prétendant les diriger.

COMMENT METTRE EN PLACE UNE AUTOGESTION CONSCIENTE DU SEXISME ?
  • Éviter une répartition traditionnelle et genrée des tâches (exemple : les femmes prennent les comptes rendu quand les hommes proposent les notes politiques).

  • Éviter de laisser reposer la charge mentale du soin aux autres et des activités sur les militantes.

  • Mettre en place des mandats mixtes en binôme : une fille/un garçon, deux filles, deux filles/un garçon.

  • Mettre en place une modération féministe qui donne la parole aux femmes avant les hommes, ce qui débouchera sur une parole en alternance femme/homme.

  • Mettre en place des règles claires de modération des espaces virtuels et physiques contre les propos oppressifs et violents.

  • Mettre en place des procédures claires en cas de harcèlement, de viol, de violences sexuelles ou de toute autre situation non consentie.

  • Mettre en place une charte contre le sexisme et les comportements oppressifs.

  • Créer des outils pour féminiser autant à l’oral qu’a l’écrit.

1 Anaïs Moran, « Pour la santé des femmes, une précarité lourde de conséquences », Libération, 7/07/17, URL : https://www.liberation.fr/france/2017/07/07/pour-la-sante-des-femmes-une-precarite-lourde-de-consequences_1582321.