Par Christine (AL Orne)
Deux formes de militantisme féministe se font entendre : le militantisme lobbyiste et le militantisme « déshabillé » qui cherche à attirer les médias. Il manque aujourd’hui la voix d’un féminisme de combat.
Entre féminisme institutionnel et nudité militante, la voie est étroite pour les féministes radicales. Ce texte est écrit avant « les 6 heures pour l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes » qui ont eu lieu le 20 octobre. Il s’agit là d’entendre des chercheuses, des militantes et des travailleuses en lutte pour « mettre au centre du débat sur l’égalité salariale les travailleuses les plus précaires » et exiger l’augmentation des salaires dans « tous les secteurs féminisés ». On ne peut qu’être d’accord sur les objectifs. Et un moment pour se réchauffer ensemble et alimenter nos analyses n’est pas à négliger. Mais pour quelle efficacité ? La loi sur l’égalité des salaires existe, le précariat des femmes est chiffré, analysé et connu.
Comment faire avancer le féminisme ?
Le collectif Féministes en mouvement regroupe 21 associations et organisent des rencontres d’été. Cette année le thème était « L’égalité hommes-femmes en chantier ». Les objectifs sont l’échange, la production d’analyses et de propositions pour le pouvoir. Quelle efficacité ? Le mouvement féministe est riche en analyses de la situation. Et le pouvoir s’assied sur ses propositions, en particulier en matière économique. Elles ont également interpellé les candidates aux élections présidentielles. Toute cette énergie ne devrait-elle pas être utilisée autrement ? Ajoutons les rassemblements bi-annuels des 8 mars et 25 novembre, qui rappellent que rien n’est gagné (mais celles et ceux qui ne le savent pas ne seront pas convaincus ainsi), une pétition contre le viol… Internet a sans doute beaucoup facilité l’organisation entre militantes, mais malheureusement il a aussi rendu le « pétitionnage » trop facile. Ce féminisme traditionnel – tout à fait estimable – ainsi que l’échange et l’élaboration, sont utiles mais ce féminisme n’a aucune efficacité, encore moins aujourd’hui où le patriarcat et le capitalisme sont en guerre contre le monde du travail et les femmes en particulier. Les rassemblements revendicatifs qui ont suivi le verdict récent et honteux d’un procès de viols collectifs ont plus fait pour l’appel du parquet que la campagne de pétitions et d’affiches en cours depuis des mois. Le harcèlement des féministes envers DSK a permis que le silence n’ensevelisse pas ses actes. C’est dans la rue, en harcelant les harceleurs, les machos, les violents que nos idées avancent.
Se déshabiller pour lutter : un leurre !
L’autre féminisme visible – beaucoup plus visible – est le féminisme déshabillé. C’est celui des Femen, ces militantes, dont le mouvement est issu d’Ukraine, qui réclament la fin du patriarcat et de la dictature avec des slogans peints sur leurs seins nus. Nous ne nous prononcerons pas sur le militantisme seins nus en Ukraine, mais sur les Femen France. C’est aussi le militantisme des « salopes » qui organisent des marches en tenues sexy et minimales pour réclamer le droit de s’habiller comme elles veulent. Exhiber sa nudité, c’est entrer complètement dans l’idée que le dévoilement est nécessaire et qu’il ne faut plus rien cacher. « La lumière représente, dans notre monde, un déterminant culturel puissant. Nous manifestons une foi profonde et obstinée dans les vertus de l’exposition, au point de nier la violence qu’elle implique. Nous sommes persuadés qu’il est bon d’en montrer le plus possible, que du dévoilement viendra une forme de révélation, de délivrance. Seule la honte paraît pouvoir justifier que l’on veuille garder des choses pour soi ». [1]
C’est une idée qui peut être analysée comme profondément capitaliste. « Une fille doit montrer ce qu’elle a à vendre. Elle doit exposer sa marchandise. […] On croyait avoir compris qu’un droit féminin intangible est de ne se déshabiller que devant celui (ou celle) qu’on a choisi(e) pour ce faire. Mais non. Il est impératif d’esquisser le déshabillage à tout instant. Qui garde à couvert ce qu’il met sur le marché n’est pas un marchand loyal. On soutiendra ceci, qui est assez curieux : la loi sur le foulard est une loi capitaliste pure. Elle ordonne que la féminité soit exposée. Autrement dit, que la circulation sous paradigme marchand du corps féminin soit obligatoire. Elle interdit en la matière – et chez les adolescentes, plaque sensible de l’univers subjectif entier – toute réserve ». [2]
L’utilisation de la nudité ou de l’exhibition de son corps pour militer rend-elle la nudité subversive ou au contraire fait-elle de la subversion un simple avatar de la publicité qui nous écœure de corps de femmes nus ? Cela participe de la pornocratisation de la société. Nous ne critiquons pas les choix individuels de ces femmes, ni ne mettons en doute leur sincérité, nous relèverons simplement que le patriarcat a des pièges profonds et qu’il est complexe d’échapper à son conditionnement. « Depuis le déchaînement antiféministe orchestré par les industries pornographiques et proxénètes, en particulier à partir des années 1970, le patriarcat s’est assuré par tous les moyens que la seule chose qui passe pour féministe aux yeux et aux oreilles des jeunes femmes soit une image totalement pornifiée de nos luttes. Alors qu’il y a un silence de mort à la fois sur les mouvements féministes qui combattent pour faire cesser ces violences, et les atrocités commises sur les femmes par les hommes, les seuls événements que relaient les médias sont des actions de femmes qui reprennent les insultes misogynes, comportements ou stigmates de notre oppression. En d’autres termes, si les journalistes parlent de la lutte des femmes, c’est pour que les hommes puissent se masturber dessus – une des stratégies antiféministes les plus utilisées actuellement pour humilier notre mouvement et nous déshumaniser publiquement ». [3]
Un féminisme qui s’appuie sur les standards de désirabilité du patriarcat publicitaire, jeunes, minces, épilées et nues… est un féminisme complice du patriarcat. Si le féminisme institutionnel est inefficace à part pour entretenir nos compétences et nos argumentaires (ce qui est déjà bien), le féminisme déshabillé nuit aux femmes et au féminisme. En revanche, le féminisme de type lutte pour le droit à l’IVG est un exemple dont il faut s’inspirer : manifestations de rue, implication de personnalités, action directe (IVG à la maison)… Rosser les hommes violents et les déménager du domicile familial, ne pas taire les violences et protéger les violeurs par le silence, partager les salaires et le temps de travail, occuper, se mettre en grève… être illégales et convaincues… Mais surtout prendre et ne pas quémander, ne pas draguer les médias mais y mettre le feu… Les moyens du féminisme radical sont à retrouver.
[1] Mona Chollet, Beauté Fatale, la Découverte, 2012
[2] Alain Badiou, cité par Mona Chollet
[3] A. Ginva, « FEMEN : cessons de nous déshumaniser » sur http://sandrine70.wordpress.com/2012/10/05/
Source : http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article5029