Par Benjamin (AL Paris Nord Est)

10885529_10152996985672276_178701586058206979_nDepuis la victoire de Syriza aux élections législatives du 25 janvier 2015, les projecteurs médiatiques sont braqués sur la Grèce et son gouvernement de gauche radicale. Mais l’état de grâce aura été de courte durée. Le résultat des négociations menées avec les créanciers de l’État grec fait déjà grincer des dents au sein même de Syriza.

Dès l’annonce des résultats des élections législatives grecques, les commentaires ont fleuri à la « gauche de la gauche » pour saluer une victoire historique et reconnaître dans Syriza un modèle pour une alternative politique au libéralisme dominant.

Ce succès électoral a immédiatement donné des ailes à des formations réformistes plus ou moins proches de Syriza qui espéraient voir rejaillir sur elles l’aura populaire de Tsípras. Pourtant, l’exercice du pouvoir s’avère d’ores et déjà beaucoup plus décevant que prévu et la vague Syriza sur laquelle comptaient surfer Podemos en Espagne, le Front de gauche en France ou l’Alliance anti-austérité en Irlande semble dès à présent endigué.

Une zone de turbulences en Europe

L’arrivée au pouvoir de la gauche radicale a indéniablement provoqué une zone de turbulences dans une Europe gouvernée par des partis adeptes du libéralisme. Alors que le dogme de l’austérité n’est quasiment pas remis en cause, l’accession de Tsípras au poste de Premier ministre avait de quoi faire frémir au sein des institutions européennes.

En faisant ainsi de la renégociation de la dette grecque et de la remise en cause desmémorandums conclus avec la troïka son cheval de bataille, le nouveau gouvernement grec entendait répondre aux aspirations populaires qui avaient porté ce parti au pouvoir et marquer la rupture avec les gouvernements précédents.

Les premières annonces du gouvernement Tsípras allaient dans ce sens : arrêt de la privatisation du port du Pirée et des grandes entreprises publiques (en particulier l’opérateur d’électricité DEI), programme d’urgence pour répondre à la crise humanitaire, réintégration de milliers de fonctionnaires, hausse du salaire minimum, relèvement des pensions pour les retraités les plus pauvres, etc.

Mais les premières annonces de Tsípras faisant suite aux négociations avec l’Eurogroupe ne vont clairement pas dans le bon sens et toute la question est désormais de savoir comment va agir l’aile gauche de Syriza, mais aussi et surtout dans quelle mesure le prolétariat organisé va mettre le gouvernement sous pression.

D’autant que le programme de Syriza, ambitieux par certains aspects, n’est en effet pas anticapitaliste en soi et aucune transformation sociale d’ampleur ne pourra être espérée si le mouvement social demeure attentiste.

Les limites d’un programme réformiste

La dernière mouture du programme de Syriza avait été présentée par Tsípras lors de la Foire internationale de Thessalonique en septembre 2014. Ce « programme de Thessalonique », qui doit être financé par la lutte contre la fraude fiscale et par un recours à divers fonds européens, prévoit un ensemble de mesures destinées à apporter une solution d’urgence à la crise humanitaire, à soutenir la relance économique (notamment par le relèvement du seuil de l’impôt sur le revenu et la création d’une banque d’investissement), à réformer la gouvernance et à endiguer le chômage en créant 300.000 emplois dans le secteur public et le secteur privé. Bref, un programme d’aides sociales mâtiné de mesures d’inspiration keynésienne.

C’est sur ce programme, beaucoup moins ambitieux que les revendications portées jusqu’alors par Syriza, que le parti de Tsípras est parvenu à remporter la majorité relative des sièges au Vouli, le Parlement grec.

On peut dès lors se demander quels sont les objectifs du nouveau gouvernement : apporter une réponse immédiate à la misère et tâcher simplement de faire revenir la Grèce à sa situation d’avant 2008 ou s’appuyer sur ces premières mesures populaires pour consolider un bloc majoritaire dans la population et mener ensuite des transformations sociales plus radicales ?

Dans tous les cas, c’est en premier lieu au mouvement populaire grec que nous devons apporter notre soutien. C’est au sein de ce mouvement que doivent continuer à se développer des forces anticapitalistes et autogestionnaires à même de peser de manière significative sur la situation politique pour porter un projet de transformation sociale autonome qui ne se limite pas à un traitement symptomatique de l’austérité.

Le fait que les manifestantes et manifestants grecs adoptent le slogan « Pas un pas en arrière » laisse penser que des ouvertures existent et que l’expérience gouvernementale ne constitue pas un horizon borné.

Les contradictions du pouvoir

Dès la fin du mois de janvier, le nouveau gouvernement Tsípras, fruit d’une alliance de circonstance entre Syriza et le parti de droite souverainiste des Grecs indépendants, a entamé des négociations en vue d’aménager le remboursement de la dette grecque et d’obtenir de nouveaux financements.

Mais Yánis Varoufákis, nouveau ministère des Finances, se heurte d’ores et déjà à l’inflexibilité de l’Eurogroupe (regroupant les ministres des Finances de la zone euro, la BCE et le FMI) qui pose comme condition à toute négociation la prolongation du mémorandum. Et les annonces du gouvernement grec montrent que le tiède compromis a été préféré à l’affrontement direct avec les institutions européennes.

En effet, selon les termes de l’accord, même si l’initiative des réformes revient au gouvernement grec, celles-ci devront être validées par les créanciers de l’État grec avant de pouvoir être mises en œuvre.

C’est ce compromis au rabais qui a conduit le vétéran Manolis Glézos, figure emblématique de la résistance grecque à l’occupation nazie, à dénoncer la capitulation du gouvernement Tsípras et, dans une lettre ouverte, à demander « au Peuple Grec de [lui]pardonner d’avoir contribué à cette illusion » [1].

Dans le même temps, le relèvement immédiat du salaire minimum à 751 € a été repoussé à 2016 tandis que l’arrêt de la privatisation du Pirée ne semble plus être défendu avec autant de force.

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Manolis Glézos et Alexis Tsípras en 2008. Avec le coup de sang du vieil homme, c’est toute la gauche de Syriza qui se rebelle. © DPA

Développer des contre-pouvoirs avant de prendre le pouvoir

L’arrivée au pouvoir de Tsípras va sans nul doute conduire, dans un premier temps, à une amélioration substantielle du sort des plus précaires et peut même être propice à un développement des forces révolutionnaires.

Pour autant, l’aventure gouvernementale de Syriza présente deux risques majeurs :

  1. brider les aspirations populaires au changement en leur opposant un discours gestionnaire ;
  2. nourrir, par son échec, les idées réactionnaires et précipiter un brutal retour à l’ordre.

Ces deux risques sont liés au rapport utilitariste qui est entretenu avec le mouvement social : dans une période de reflux des luttes après 2012, la stratégie de Syriza a ainsi été d’offrir un « débouché politique » au mouvement social plutôt que de tâcher de renforcer, en son sein, les perspectives de contestation et d’élaboration d’un projet de transformation sociale autonome.

Le Front de gauche qui, en France, se donne Syriza pour modèle et prétend appuyer le mouvement social en lui proposant un débouché électoral, risque, de même, de brider des organisations syndicales et des associations de lutte déjà affaiblies en leur faisant perdre de vue toute perspective politique autonome.

Au-delà de cela, faire de la recomposition électorale à gauche et de la recherche d’un accord programmatique une priorité pour contester la politique libérale du gouvernement revient à nourrir des illusions et à faire oublier que c’est la construction patiente d’un rapport de force en faveur des classes populaires qui sera déterminante pour saper les fondements du pouvoir capitaliste et commencer à bâtir, par en bas, une autre société.

AL, Le Mensuel, Mars 2015