Par Marius (AL Toulouse)
Où en est l’Italie ? Appauvrissement de la population, « crise démocratique », recompositions politiques… Un contexte de désespoir des classes populaires et de succès électoral de la droite dure et de démagogues en tout genre.
Début mars, l’Italie votait pour les élections législatives, alors que l’économie du pays tourne au ralenti avec un taux de chômage de 10,8 % et des inégalités de revenus parmi les plus fortes de la zone euro. Contrairement à d’autres pays de celle-ci, la croissance y est considérée comme lente, atone, du fait de l’absence de « bulle immobilière » et d’explosion de la dette privée avant la crise financière, ce qui devait éviter une politique de violents ajustements, jusqu’au moment inévitable où il a fallu répondre aux considérations des marchés voyant la dette italienne peu soutenable, comme celles de l’Irlande, de la Grèce, de l’Espagne ou du Portugal. Ainsi, lorsque fin 2011 le gouvernement Berlusconi laisse sa place à un gouvernement de technocrates dirigé par l’ancien commissaire de l’Union européenne à la concurrence Mario Monti, l’Italie connaît une politique de traitement d’une bulle financière que la pays n’a pas connu. L’austérité s’est donc imposée, sur les salaires et la dépense publique, entraînant un cercle vicieux, où la croissance s’effondre avec la baisse de consommation des ménages et de l’investissement des entreprises. Des « réformes structurelles » régulières visant à « stimuler la productivité » mais qui ne font que réduire la « demande intérieure ». En termes concrets, un appauvrissement de la population et inévitablement un rejet des politiciens, mais aussi la recherche de boucs-émissaires comme les migrants et migrantes. Des thèmes qui ont mobilisé la plupart des formations politiques dans la campagne pour les élections, alors que le gouvernement de Matteo Renzi et du Parti démocrate (PD, centre) a depuis son accession au pouvoir en 2014 échoué à convaincre la population des « bienfaits social-libéralisme ».
C’est donc naturellement que la coalition centriste de Renzi n’arrive qu’en troisième position lors de ces législatives. La première place revient à une coalition de droite conservatrice réunissant le mouvement Forza Italia de Berlusconi et les nationalistes xénophobes de la Ligue (ex-Ligue du Nord), qui par stratégie délaisse son régionalisme au profit de l’accession au pouvoir national. À la deuxième place, c’est le Mouvement 5 étoiles (M5S), des démagogues qui ont semé lors de leur fondation en 2009 des illusions d’opposition à « l’oligarchie » et à l’Union européenne, allant jusqu’à se réclamer de la démocratie directe… Le M5S a progressivement capitalisé sur le mécontentement populaire et convaincu des déçus de gauche et de droite de voter pour lui, entraînant une série de succès électoraux : arrivant troisième aux élections générales de 2013, et surtout remportant aux municipales de 2016 rien de moins que Rome et Turin. Au fil du temps, les positions politiques du M5S ont évolué, devenant moins eurosceptique dans le discours et s’opposant à l’immigration. L’implantation populaire du mouvement due aux rejets des partis institutionnels habituels explique son succès aux élections de début mars. Le discours de « solidarité » qu’ils ont tenu vis-à-vis du Sud de l’Italie (plus pauvre que le Nord) a marché, à travers notamment leur proposition d’un revenu de citoyenneté à 780 euros pour tous les chômeurs. Le positionnement visant à dépasser le clivage droite/gauche au profit d’un clivage up/down (en haut/en bas), leur opposition aux « 1 % », au « système » et la défense de l’éradication de la pauvreté, est symptomatique de stratégies en cours dans toute l’Europe de la part de mouvements se prétendant « du peuple », comme Podemos en Espagne ou la France Insoumise, à ceci près que le M5S est encore plus ambigu en étant membre au Parlement européen d’un groupe réunissant des partis d’extrême-droite comme l’Ukip britannique.
Les vainqueurs de ces élections vont devoir former une majorité au Parlement et nous ne savons pas encore à l’heure actuelle quelle coalition, sûrement inédite, va se dessiner, mais elle sera probablement fragile et difficilement gérable par la classe bourgeoise, tout en continuant de dégrader les conditions de vie de la population.
La gauche à la peine
Dans ces élections, les formations de gauche ont eu des scores très faibles. Les sociaux-démocrates de Libres et Égaux, dont le discours s’oppose au libéralisme, n’ont pas su convaincre. Il faut dire que leur leader Pietro Grasso n’est pas un modèle de rejet du système, puisqu’il a été membre du PD jusqu’en 2017 et président du Sénat.
Enfin, Potere al popolo (Pouvoir au peuple) qui avait suscité quelques espoirs pour la gauche radicale : le mouvement s’appuie sur des centres sociaux autogérés, notamment celui de Naples, où des médecins viennent soigner des personnes en très grande pauvreté, et est aussi en lien avec le mouvement No Tav [1] et No Tap [2]. Si le mouvement n’a obtenu que 1 % des voix, il est aussi très jeune et peut se targuer du soutien de poids de plusieurs partis italiens de gauche radicale [3] et de l’Union syndicale de base (USB, syndicalisme alternatif).
Malgré tout, il faut espérer que les mouvement sociaux et syndicaux sauront garder leur propre agenda sans s’enfermer dans des stratégies électoralistes et de représentation politique et parlementaire des exploité.es visant à délaisser la construction de fronts de lutte autogestionnaires de masse. Dans un contexte difficile, le travail de terrain en Italie est cependant mené chaque jour par les syndicalistes de lutte, ainsi que par nos camarades d’Alternative libertaire / Fédération des anarchistes-communistes [4].