Willy Hajek (Berlin)
Outre-Rhin, face à l’explosion de la pauvreté et de la précarité, des pratiques combattives existent, dans la société et dans les entreprises, en dépit du poids des grosses organisations bureaucratiques. Le point par Willy Hajek, syndicaliste libertaire.
Depuis l’extérieur, l’Allemagne peut avoir l’image d’un pays où la conflictualité sociale est relativement faible du fait, entre autre, de sa bonne santé économique. Celle-ci et son taux de chômage bas sont, en effet, rabâchés par les médias. Mais la réalité est tout autre : de plus en plus d’emplois précaires, et ce dans tous les secteurs de la société, chez les ouvriers et ouvrières, mais aussi chez les ingénieur.es de Siemens ou chez les employé.es de l’université.
La pauvreté en Allemagne grandit, surtout dans les grandes villes comme Berlin et dans les régions industrielles comme la Ruhr. Toute personne qui connaît un peu les quartiers populaires de Berlin, comme Neukölln ou Wedding, est toujours surpris de la visibilité de cette pauvreté dans la rue, dans et autour des stations de métro ou dans d’autres espaces publics.
En même temps, les prix des logements ont explosé dans cette même ville. Les mouvements contre les expulsions et les hausses des loyers sont légions et très combatifs. L’insécurité du logement et le danger de se retrouver sans toit sont devenus une réelle menace pour nombre de familles avec ou sans emploi.
Le nombre d’intérimaires parmi les salarié.es est en hausse constante. Il représente 8 % des ouvriers et ouvrières chez Mercedes, 40 % chez BMW. Il existe d’ailleurs des mouvements d’intérimaires chez Volkswagen (VW) à Hanovre, en particulier, pour imposer leurs embauches en CDI. Le syndicat IG Metall ne les soutient pas car cette lutte est initiée par la base et qu’elle ne correspond pas aux intérêts des dirigeants syndicaux. Les principaux délégués syndicaux chez VW gagnent autant que les managers de l’entreprise. C’est un monde clos, corrompu, coupé des préoccupations des salarié.es.
40 % d’intérimaires chez BMW
Certes, les salarié.es de la métallurgie allemande vont avoir le droit de réduire leur temps de travail à 28 heures par semaine, grâce à un accord de branche signé début février 2018, entre le syndicat IG Metall et le patronat. Mais, par ailleurs, la précarité augmente avec la complicité des bureaucraties syndicales. Le syndicat DGB va ainsi soutenir un gouvernement Merkel avec le SPD. Il est aussi question d’un ministre du Travail issu des rangs de l’IG Metall. C’est dire.
Pourtant, à la base, il existe une réelle combativité. Nous avons ainsi vécu récemment les manifestations de masse contre le G20 à Hambourg, malgré les violences policières et la chasse aux militants et militantes qu’on y observe. Partout, la police affiche des photos des manifestants et manifestantes dans la ville pour appeler la population à la délation. Les responsables de ces mesures sont des sociaux-démocrates et les Verts (le ministre de la Justice est membre du parti Les Verts).
D’autre part, il y a localement, un peu partout, des mouvements et des activités de solidarité avec les réfugié.es, avec les intérimaires, les travailleurs et travailleuses immigrées ou privé.es d’emploi.
Le week-end du 7 janvier, à Dessau, 5 000 personnes ont manifesté pour rendre hommage à Oury Jalloh, assassiné dans un commissariat de police il y a treize ans. Son matelas avait été incendié dans la cellule où il était gardé à vue. Un non-lieu pour les policiers a été prononcé.
À côté de cette combativité quotidienne dans la société, la conflictualité n’épargne pas les entreprises. Certes, il faut reconnaître cette spécificité allemande qui accorde un rôle particulier aux syndicats dans l’exercice de la cogestion avec l’État fédéral. Le paysage syndical est dominé par IG Metall pour l’industrie et Ver.di pour le service public, les syndicats les plus influents et les plus riches, avec un appareil bureaucratique comparable aux syndicats belges.
On l’a vu lors du scandale de pollution chez Volkswagen. Dans les usines de VW, la plupart des délégué.es syndicaux font campagne contre ceux (les capitaux américains selon eux) qui voudraient détruire Volkswagen. Un tee-shirt avec marqué « Nous sommes tous Volkswagen » a été distribué gratuitement par IG Metall, des milliers de salarié.es les ont portés pendant une assemblée générale : voilà concrètement l’expression de la cogestion et la complicité avec un patronat criminel. Heureusement, des avocats, des initiatives écologiques et des journalistes s’engagent dans cette lutte pour trouver des responsables et révéler la vérité des faits.
Néanmoins, Ver.di, qui compte 2 millions de membres, comporte un courant de gauche syndicale assez combatif et des groupes de jeunes militants et militantes syndicalistes.
Lutte exemplaire chez Amazon
Le secteur le plus en pointe de la lutte est actuellement l’hôpital, où la situation est assez catastrophique. Il y a des sous-effectifs partout et la revendication principale est d’avoir plus de personnel. Ça a commencé à Berlin à l’hôpital de la Charité (12 000 salarié.es), et dans toutes les régions d’Allemagne le secteur hospitalier est en mouvement. Plusieurs syndicats (Ver.di, mais aussi des syndicats catégoriels – médecins, infirmières) sont capables de mobiliser et de créer un rapport de force. Mais le plus important est qu’il y a un débat de société sur la privatisation et surtout la tarification des soins. Des organisations de médecins sont très engagées dans ce mouvement social.
Ce syndicalisme combatif a mené quelques luttes exemplaires ces dernières années sur la question de la précarité. C’est le cas, en particulier, des salarié.es d’Amazon : depuis trois ans, il y une lutte dans cette multinationale, organisée par Ver.di pour obtenir une convention collective. Le patron d’Amazon refuse. Il y a beaucoup d’actions pour faire pression. Jusqu’à aujourd’hui, rien n’a été obtenu, mais durant ces trois ans, de jeunes travailleurs et travailleuses ont découvert le syndicalisme de base, construisant un réseau syndical dans toutes les usines d’Amazon en Allemagne. Ils se rencontrent régulièrement pour échanger sur leurs expériences. En même temps, une coordination transnationale s’est constituée avec des syndicats chez Amazon en Pologne, en France et en Allemagne. Il y a eu plusieurs rencontres transnationales et un tract en plusieurs langues qui a été distribué dans les différents pays.
Ces pratiques chez Amazon sont un exemple pratique des idées de Transnationals Information Exchange (Tie) [1] pour un syndicalisme différent. Ce réseau intersyndical est une idée des syndicalistes de base il y a quelques années de créer des réseaux syndicaux transnationaux dans les secteurs de l’automobile, du textile et du commerce, comme chez Amazon, dans le secteur des transports comme le chemin de fer, autour de la question de la mobilité. Dans le réseau « Rail sans frontières », il y a une coopération avec des cheminots et cheminotes du monde entier depuis de longues années. En ce moment, il y a des activités pour soutenir la lutte des intérimaires chez Volkswagen en Chine, comme des actions devant le siège principal de Volkswagen en Allemagne ou des pressions sur la direction de l’IG Metall pour qu’elle intervienne. Même en Allemagne, luttes et solidarité internationale ne sont pas de vains mots.