Matt (AL Montpellier)

Le dimanche 28 octobre 2018, un peu plus de 55 % des électrices et électeurs brésiliens faisaient le choix de Jair Bolsonaro face au candidat de gauche, Fernando Haddad. Jair Bolsonaro est à droite, très à droite, pour ne pas dire fascisant…

Jair Bolsonaro, 66 ans, est un ancien capitaine de l’armée brésilienne. Il s’affiche clairement comme un nostalgique de la dictature militaire, faisant l’apologie de la répression des «  rouges  », de la torture et des violences sexuelles. Il avait, dans une phrase devenue célèbre, dit à une opposante qu’elle «  était trop moche pour se faire violer  » [1].

Bolsonaro assume une certaine filiation avec le fascisme historique. Son slogan de campagne est «  Brasil Acima de tudo  » (Le Brésil au-dessus de tout) qui est une référence à «  Deutschland über alles  », phrase de l’hymne national allemand mise en avant par le régime nazi.

Idéologiquement, le discours de Bolsonaro se rapproche énormément de la rhétorique fasciste  : le leader charismatique prétend énergiser la nation et restaurer l’ordre, la communauté et le lien social. Le problème est que bien évidemment, cela se fait par la liquidation de l’ennemi, qui dans le cas de Bolsonaro est tout désigné  : les rouges incarnés par le Parti des travailleurs (PT), les personnes lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) accusées de «  détruire la famille  », et les pauvres des favelas et les indigènes vus comme un danger social. Ce vaste programme de liquidation implique «  naturellement  » un État autoritaire, dictatorial. Bolsonaro est ouvertement nostalgique de la dictature qu’il promet de rétablir.

Un régime ouvertement nostalgique de la dictature

Le programme de Bolsonaro s’inscrit dans la droite lignée de ces perspectives fascisantes. Tout d’abord, c’est un programme de rétablissement et de renforcement du patriarcat, contre la procréation médicalement assistée et les droits des personnes LGBT, avec l’appui des Églises évangéliques.

Il se décline dans le domaine de l’éducation avec une réforme des programmes considérée comme «  rouges  ». Dans le domaine économique, il ne s’embarrasse pas du pseudo discours social souvent agité par les fascistes, l’objectif est direct. Il propose une purge néolibérale austéritaire  : suppression des programmes sociaux et médicaux d’aide aux plus pauvres, privatisation de quasiment tous les services publics, et dans un même temps renforcement du protectionnisme vis-à-vis du Mercosur, le marché commun d’Amérique du Sud.

Enfin, son programme est catastrophique en termes environnementaux  : il promet la poursuite de la destruction de la forêt amazonienne, pourtant essentielle à l’équilibre de l’écosystème mondial. Ainsi, le ministère de l’Environnement serait fusionné avec celui de l’Agriculture, aux mains des propriétaires terriens, et les réserves indigènes qui couvrent 13 % du territoire livrées aux intérêts de l’agrobusiness.

Il propose aussi une politique ultra-répressive et vigilantiste  : face à une criminalité galopante (69 000 homicides en 2017), il propose plus de violence policière de même que l’armement des «  bons citoyens  » qui seraient autorisés à tirer à vue…

Un soutien déterminant de la classe dominante

La très rapide ascension de Bolsonaro, qui était précédemment perçu comme à la fois fascisant, fantasque et marginal, doit beaucoup au soutien de la classe dominante. On peut distinguer trois composantes essentielles. La première est celles des grands propriétaires terriens de l’agrobusiness  : dans un pays ou le secteur agro-alimentaire est essentiel pour les exportations, ceux-ci pèsent très lourd. Dans une large mesure, l’ensemble du grand patronat industriel soutient aussi Bolsonaro. Enfin, le secteur «  sécuritaire  » lui apporte son appui  : les hautes hiérarchies militaires et policières, mais aussi les entreprises privées du business de la sécurité.

Cet appui déterminant s’est manifesté notamment par des campagnes de «  fake news  » massives sur Facebook et surtout WhatsApp, extrêmement utilisés au Brésil, dont il a été révélé qu’elles ont été financées par un groupement de plus de 150 entreprises liées au grand patronat  [2].

Bolsonaro est devenu ainsi pour le grand capital un outil dans la lutte qu’ils livrent au PT depuis la réélection de Dilma Roussef en 2014. La présidente issue des rangs du PT a été destituée suite à une enquête pour corruption pour le moins discutable, destitution soutenue par l’ensemble de la classe dominante.

Michel Temer, président par intérim de droite, est devenu tellement impopulaire suite à une série de réformes néolibérales que son taux d’approbation ne dépassait pas les 3 %. Face à la menace d’un retour aux affaires du PT, le fascisme guidé par Bolsonaro est alors devenu une perspective acceptable pour une bourgeoisie brésilienne qui ne s’embarrasse pas de scrupules… Si le PT et ses quelques mesures de redistribution sont insupportables pour la classe dominante brésilienne, assoiffée de profits, cela ne signifie pas pour autant que ce parti soit exempt de responsabilité dans l’élection de Bolsonaro.

La responsabilité de la social-démocratie

En 2002, le PT arrive au pouvoir avec l’élection de Lula qui a l’appui des syndicats et de l’ensemble des mouvements sociaux. Élu sur une base antilibérale et socialiste, son bilan a été bien maigre, terni par des compromissions et une corruption endémique. Très rapidement, Lula donne des garanties au grand patronat  : il ne s’attaquera pas à ses intérêts ni à la propriété privée des grands groupes industriels… Au final, le PT ne mène qu’une politique d’aménagement à la marge du capitalisme  : programme d’aide aux plus démunis, médecins cubains pour les plus pauvres, retraites quelque peu avantageuses.

En réalité, cela ne change pas grand-chose. Le Brésil est resté un des pays les plus inégalitaires au monde, où la classe moyenne et la bourgeoisie peuvent bénéficier de la protection de vigiles armés pour consommer, alors qu’une grande partie de la population végète dans des conditions indignes et que le PT nourrit grassement une bureaucratie corrompue qui fait très peu pour les exploités. La trahison et l’indignité de la social-démocratie brésilienne ont ouvert la voie au fascisme au Brésil. À méditer à l’heure des espoirs électoralistes autour de la France insoumise…

AL, Le Mensuel, Décembre 2018