8questionsLes questions d’indépendance syndicale sont à l’ordre du jour ! Retrouvez ici les 8 questions posée par la FGTB Charleroi-Sud Hainaut en matière de politique et indépendance syndicale, suite au travail mené après son Appel du 1er mai 2012. N’hésitez pas à vous fournir la brochure complète auprès de la centrale carolo.

Une initiative que les libertaires se doivent de suivre, pour développer un syndicalisme totalement indépendant des intérêts de l’Etat et de ses partis gestionnaires !

1 : Le syndicat peut-il s’occuper de politique ?

Oui. Non seulement il le peut, mais il le doit. Notre FGTB défend un projet de société sans classes. Défini à grands traits dans notre Déclaration de principes, ce projet est incompatible avec le capitalisme. Sa réalisation implique l’abolition de ce système et son remplacement par un autre, socialiste et démocratique. C’est dans cette perspective que la Déclaration de principes revendique la propriété collective des grands moyens de production, que nos congrès de 1954 et 1956 défendent la nécessité de « Réformes de structures anticapitalistes » (nationalisation du crédit et de l’énergie, notamment) et que notre Interrégionale wallonne dénonce le capitalisme qui « nuit gravement à la santé ». Or, nos revendications anticapitalistes ne peuvent être imposées uniquement par l’action directe des travailleurs et des travailleuses organisés dans leurs syndicats. Elles nécessitent en plus que cette action syndicale soit prolongée par une action politique, à tous les niveaux du pouvoir.

En tant que syndicat, nous sommes un contre-pouvoir indépendant de tout parti politique et nous le resterons toujours, même dans une société non capitaliste. Mais nous sommes plus qu’un contre-pouvoir : au nom de notre objectif ultime d’une société sans classes, nous luttons contre le pouvoir de la minorité capitaliste et pour le pouvoir aux travailleurs et aux travailleuses. En ce sens-là, oui, nous devons nous occuper de politique.

2 : Notre rôle politique est donc un rôle d’aiguillon des partis existants ?

Non, cette stratégie de l’aiguillon nous a menés dans une impasse. Depuis 1975, nous essayons d’influencer ceux qui sont aux manettes. En particulier, nous interpellons ceux qui se disent nos « amis politiques » au Parlement et au gouvernement, la social-démocratie et les Verts. Sans résultats. La situation du monde du travail ne fait qu’empirer. Les acquis sociaux et le secteur public conquis par les luttes de nos parents et grands-parents sont démantelés, les libertés syndicales sont attaquées. Ceux qui se disent nos « amis politiques » prétendent qu’ils restent d’accord avec nous mais sont obligés de passer des compromis avec la droite au gouvernement, que « sans eux ce serait pire ». Nous n’y croyons plus. Nous ne les considérons pas comme des partis de droite mais nous constatons :

  • qu’ils sont convertis aux dogmes néolibéraux de la compétitivité et de la privatisation ;
  • qu’ils n’ont plus d’alternative à la société capitaliste, qu’ils se contentent de la gérer en prônant quelques « mesurettes » à la marge ;
  • qu’ils ont perdu leurs racines et qu’il n’y a pas d’aile gauche en leur sein.

Ces partis ont collaboré et continuent à collaborer à construire l’Europe capitaliste, qui est une machine de guerre contre le monde du travail. Du Plan Global aux mesures Di Rupo en passant par le Pacte des Générations, ils aident délibérément à faire passer la pilule de l’austérité, contre la résistance syndicale. La « courroie de transmission » tourne donc à l’envers. Ils ne sont plus un relais qui peut être réactivé pour notre projet de société. Au contraire : les exemples de la Grèce, de la Grande-Bretagne, du Portugal, de l’Italie et de l’Espagne montrent que leur politique gestionnaire fait le jeu de la droite et de la droite extrême. Dans ces pays, cette droite en a profité pour former des gouvernements encore plus agressifs contre les travailleurs. Dans ces conditions, la stratégie de l’aiguillon est un piège mortel. Nous devons en sortir d’urgence. Ce qui ne nous empêche aucunement d’interpeller ces partis et d’autres lorsque le besoin s’en fait sentir pour peu qu’ils soient démocratiques.

3 : Nous avons donc besoin d’une nouvelle stratégie politique ? Laquelle ?

Oui, nous avons besoin d’une nouvelle stratégie politique car sans relais politique nous sommes condamnés au recul en permanence. Au mieux, nous « limitons les dégâts », mais sur le long terme c’est le pire qui détruit toutes nos conquêtes. Le chômage massif, la précarisation du travail, le morcellement de l’emploi, l’internationalisation du capital et le rôle despotique de l’Union Européenne font que les rapports de forces dans les entreprises sont de plus en plus défavorables aux travailleurs. Pour y faire face, nous avons évidemment besoin en premier lieu d’un syndicalisme plus combatif et démocratique :

  • qui se donne les moyens d’actions pour changer le rapport de force ;
  • qui ose poser des revendications anticapitalistes ; et qui combat radicalement toutes les formes d’exploitation et d’oppression imposées à toutes les catégories de travailleurs et de travailleuses, dans les entreprises et dans la société en général.

Mais cela ne suffit pas. Que ce soit pour refuser le paiement de la dette illégitime, pour combattre les exclusions du chômage, pour imposer une fiscalité juste et progressive ou pour exiger que les aides publiques aux entreprises soient converties en hypothèques (comme proposé par la FGTB de Liège), nous sommes gravement handicapés par l’absence d’une force politique qui nous aide à populariser nos revendications et qui les porte à l’échelle régionale, fédérale et européenne.

Notre Déclaration de principes dit que « le mouvement syndical acceptera le concours du ou des partis qui joindront leur action à la sienne pour la réalisation de ses objectifs ». Alors que ce concours de partis est vital aujourd’hui, nous constatons que le PS et Ecolo ne concourent plus à notre action parce qu’ils ne partagent plus nos objectifs. Pour changer les rapports de forces face au patronat et à la droite, nous avons donc besoin d’une FGTB forte et d’une force politique nouvelle, anticapitaliste, à gauche du PS et d’Ecolo. Aider à l’émergence et au développement de cette force pour qu’elle devienne la plus large possible, voilà la stratégie politique que nous proposons à la place de celle de l’aiguillon. C’est le sens de l’appel que nous avons lancé le Premier Mai 2012.

4 : L’appel du Premier Mai 2012 signifie donc que la FGTB veut créer un nouveau parti politique ?

Non, nous ne créerons pas un parti, ce n’est pas notre rôle. Nous proposons que la FGTB favorise activement l’apparition d’une nouvelle force anticapitaliste sur le champ politique et électoral. Ce n’est pas la même chose. Nous voulons mettre notre poids dans la balance pour rassembler celles et ceux qui aspirent à une alternative anticapitaliste. Nous les mettons devant leurs responsabilités de créer une force aussi fidèle aux intérêts du monde du travail que les forces existantes sont fidèles aux intérêts des patrons. À terme, cette force pourrait devenir un parti, mais ce n’est pas de notre responsabilité.

De plus, nous ne voulons pas figer les choses. Au contraire : il s’agit pour nous d’ouvrir un espace et d’enclencher une dynamique. Nous avons formé un comité de soutien avec les partis de la gauche radicale parce qu’ils ont répondu positivement à l’Appel du Premier Mai 2012. Cela constitue un premier noyau. Mais le processus de regroupement politique doit avoir pour vocation de s’élargir. C’est pourquoi nous invitons les membres de gauche du PS et d’Ecolo à rejoindre la dynamique qui se met en place. Nous invitons aussi les intellectuels de gauche, les militants associatifs à se solidariser avec notre appel.

C’est un projet ambitieux, qui demandera de la patience, de l’audace et de la créativité. Dans une certaine mesure, nous nous inspirons de l’action des militants ouvriers du 19ème siècle qui, après avoir fondé les premières caisses d’entraide et de solidarité, ont oeuvré à la création du POB (l’ancêtre du PS) parce qu’ils avaient compris la nécessité d’un outil politique pour renforcer leur combat. Mais il faut évidemment tirer les leçons de la manière dont cet outil politique a fini par leur échapper.

5 : Comment faire concrètement ?

La première chose à faire c’est de rompre les liens privilégiés avec le PS. C’est ce que la FGTB de Charleroi & Sud-Hainaut a fait depuis quelques années. Il ne s’agit pas de dénoncer le PS comme un ennemi, ou de le calomnier, mais de comprendre que les liens privilégiés de la FGTB avec le PS, dans le cadre de l’Action Commune Socialiste, nous empêchent de sortir de la stratégie de l’aiguillon qui nous enfonce dans l’impasse. En même temps, il faut donc se prononcer pour une stratégie politique alternative car le syndicalisme pur, sans relais politique, n’est pas une solution. C’est ce que nous avons fait le Premier Mai 2012 et nous appelons toutes les articulations de la FGTB aux niveaux professionnels et interprofessionnels, à en débattre pour nous rejoindre dans ce combat. Enfin, il s’agit d’élaborer le programme anticapitaliste que nous, en tant que syndicalistes, voulons voir relayé sur le terrain politique.

6 : Cette stratégie ne met-elle pas en danger notre indépendance syndicale ?

C’est un point décisif sur lequel il faut être très vigilant. Nous devons rester « l’émanation directe des forces laborieuses organisées », « dans le respect de toutes les opinions, tant politiques que philosophiques », comme dit notre Déclaration de Principes. Cela implique une indépendance absolue vis-à-vis de tous les partis politiques. Or, ce qui menace cette indépendance, aujourd’hui, ce n’est pas que nous nous occupons de politique, c’est la manière dont nous nous en occupons.

En effet, la stratégie de l’aiguillon nous amène systématiquement à mettre notre programme en poche et à nous incliner dans les faits devant le programme néolibéral. Nous organisons des mobilisations contre l’austérité et, systématiquement, la stratégie de l’aiguillon nous amène à sacrifier nos revendications pour ne pas mettre en danger la politique du PS et d’Ecolo, au nom du « moindre mal ». On en arrive à un point tel aujourd’hui que certains responsables syndicaux, au nom de ce « moindre mal », ne veulent même plus organiser la lutte contre l’austérité. Face à cela, la stratégie alternative que nous proposons permet de retrouver une vraie indépendance syndicale. Dans le cadre de notre stratégie, en effet, nous élaborerons notre programme et nous mènerons nos luttes en fonction d’une seule préoccupation : les besoins des travailleurs et des travailleuses. Nous les encouragerons à s’impliquer activement et démocratiquement, afin que ce programme et ces luttes soient les leurs. Alors, nous renverserons la situation.

Alors, nous regagnerons de la force. Alors, au lieu que les partis nous dictent leur politique, c’est nous qui exigerons des partis qu’ils s’engagent à lutter avec nous pour ce programme.

7 : Nous voulons donc que se forme un nouveau relais politique de la FGTB ?

Non, nous voulons que se forme un nouveau relais politique du monde du travail dans son ensemble. C’est évidemment au sein de notre organisation, la FGTB, que nous menons le débat. Nous ne nous immiscerons pas dans le fonctionnement d’autres organisations syndicales. Mais la FGTB n’est pas la seule à être confrontée à l’impasse de la stratégie politique de l’aiguillon. La CSC est dans la même situation. C’est pourquoi, dans le fond, notre appel à une autre stratégie ne concerne pas que la FGTB. Le fait que la CNE a voulu s’associer à notre démarche est très important. Cela montre que notre stratégie, loin d’être une source de division, peut contribuer au contraire à dépasser certaines divisions historiques du monde du travail.

Nous devons être conscients de la chance qui s’ouvre ainsi et, sans abandonner notre identité, mais dans le respect des différences, favoriser la convergence autour d’un projet politique commun. Nous devons bien voir que cette possibilité de convergence trouve son origine fondamentale dans l’extrême gravité des menaces qui pèsent sur le monde du travail. La classe dominante européenne a lancé une attaque frontale contre nos acquis sociaux et démocratiques. Elle peut feindre de lâcher un peu de lest à un moment pour éviter une explosion sociale, ou une déroute électorale des partis établis. Mais elle n’a pas d’autre voie que de continuer son oeuvre de destruction.

Plus largement encore, le système capitaliste n’a plus rien d’autre à offrir que la destruction sociale et écologique pour le profit d’une minorité de la population. Dans ce contexte, inévitablement, celles et ceux qui réfléchissent plus loin que le bout de leur nez sont amenés à comprendre qu’un programme anticapitaliste est la seule alternative possible face à cette situation. Nous n’avons pas la prétention, à nous seuls, de l’élaborer dans toutes ses dimensions. Nous en proposerons une première ébauche, à compléter et à enrichir avec d’autres.

Mais cette première ébauche contribuera à lancer la dynamique du rassemblement. Tel est le sens de notre démarche.

8 : Mais tout cela n’est-il pas une dangereuse utopie alors que la droite et le patronat sont à l’offensive et que la Belgique est « au bord du gouffre », ce qui a fait courir de graves dangers à la Sécurité Sociale ?

Au contraire, croire qu’en se pliant à la logique capitaliste, faire le gros dos en attendant que ça passe, cela va nous aider, c’est être particulièrement naïf. Nous sommes le dos au mur. Nous n’avons d’autre issue que la lutte et l’unification internationale des luttes dans la perspective d’une autre Europe. Quant au « sauvetage de la Belgique », c’est souvent un faux prétexte pour imposer des reculs sociaux. Lors de la longue période « sans gouvernement », le pays a continué à fonctionner et le pouvoir a pris des mesures importantes : participer à la guerre en Libye, claquer des sommes importantes dans les banques et appliquer les mesures d’austérité décidées par les gouvernements précédents… Après 540 jours de négociations « communautaires », la note du premier ministre Di Rupo, au nom du compromis « pour sauver la Belgique », comprenait toute une série de revendications de la NVA (parti qui considère que « son programme économique, c’est celui du VOKA » – patronat flamand), alors même que ce parti n’était finalement pas partie prenante de la majorité gouvernementale ! Elles se traduisent depuis dans toutes les attaques que nous subissons. On a donc utilisé la peur du vide pour imposer des compromis avec la droite flamande, au plus grand plaisir du patronat.

Ici aussi, nous faisons appel à notre indépendance syndicale. Notre solidarité à nous, c’est une solidarité de classe, celle des travailleurs.

Nous savons bien que toute rupture de solidarité nationale conduit à moins de moyens pour organiser la solidarité. Prenons l’exemple de Ford Genk ou d’Arcelormittal à Liège. Que constate-t-on ? Que les pouvoirs régionaux, compétents pour les politiques économiques, ne disposent pas des moyens financiers nécessaires pour inverser les logiques patronales. Qu’est-ce que cela signifie ? Que même s’ils voulaient mener une autre politique (ce n’est évidemment pas le cas), le cadre institutionnel de la Réforme de l’Etat les en empêcherait. C’est vrai qu’une grande menace pèse sur notre Sécurité Sociale. Sa scission serait une catastrophe pour le monde du travail. Il faut l’éviter. Mais comment ? En acceptant la poursuite du démantèlement des acquis sociaux ? En soutenant la monarchie, soi-disant « trait d’union entre les Flamands et les Wallons » ? Ce choix entre la peste et le choléra est celui que le gouvernement Di Rupo nous impose. Nous le refusons et nous disons aux politiques : « la Sécurité Sociale appartient aux travailleurs et travailleuses ; les cotisations patronales ne sont pas des « charges » mais du salaire différé et collectivisé ; nous exigeons la gestion ouvrière et démocratique de la Sécurité Sociale ; ainsi, si votre incurie doit aboutir à l’éclatement du pays, la solidarité des travailleurs, elle, sera sauvée ».