L’entreprise française de jeux vidéo, Ubisoft, s’est récemment retrouvée sous les feux des projecteurs pour une affaire de harcèlement. Une ambiance de travail sexiste et viriliste dénoncée depuis longtemps déjà par les syndicalistes et travailleurs de l’univers vidéoludique.
L’industrie du jeu vidéo a été construite par et pour des hommes. C’était déjà ce que dénonçait Mar_Lard en 2013 dans un article, abondamment relayé à l’époque [1]. Elle y critiquait l’image sur-sexualisée du corps des femmes, les blagues potaches, sexistes et fréquentes de la part des hommes ou des vagues de harcèlement en ligne envers celles qui osaient lever la voix. Cette ambiance masculiniste a été le terreau du grand mouvement alt-right [2]de ces dernières années. Cet été, c’est Ubisoft, l’un des leaders mondiaux du jeu vidéo, créateur d’Assassin’s Creed, de Rayman ou de Just Dance, qui s’est retrouvé pris dans une affaire d’agressions sexuelles.
C’est donc dans ce contexte que s’est déclarée l’affaire Ubisoft cet été. Finalement, plusieurs accusations de harcèlements et d’agressions sexuelles ont été prononcées contre des directeurs de studios, créatifs ou éditoriaux de ce développeur. Sont évoquées des remarques sexistes, des comportements misogynes ou des abus de pouvoir de la part de managers.
Une industrie historiquement sexiste
Les inégalités entre les femmes et les hommes se retrouvent bien à Ubisoft. Dans un communiqué du 25 novembre 2020 [3], la section syndicale de Solidaires Informatique jeux vidéo (SI-JV) à Ubisoft Paris pointait du doigt les inégalités salariales entre les femmes et les hommes, qui peuvent aller jusqu’à 10 % d’écart. Les femmes du studio accéderaient en outre moins fréquemment à des postes à responsabilité, à ancienneté constante et auraient davantage de contrats précaires. Il s’agit de problèmes structurels qui se traduisent, en partie, en dominations bien réelles qui viennent toucher de plein fouet les femmes de l’industrie du jeu vidéo.
Les premières accusations portées par Libération [4] concernaient des hommes haut placés, protégés principalement par un « mur de RHs ». En effet, plusieurs cas problématiques semblent avoir été remontés à certaines équipes RHs qui étouffaient l’affaire ; souvent parce que l’homme problématique était haut placé et défendu par ces RHs à coup de : « c’est son caractère », « il est comme ça » ou « il ne faut pas mal le prendre ».
Les directions de studios semblent faire la sourde oreille : les actions entreprises par les studios pour tenter d’inverser la donne sont, pour beaucoup, vues comme des « coups de pub ». Ces actions n’agissent que peu, ou lentement pour améliorer la diversité au sein des équipes et des directions. Quelques apparitions dans des événements labellisés « diversité », mais guère plus. Dans les faits, rien ne semble avoir changé réellement.
Une réponse syndicale aux oppressions subies
C’est donc dans cette ambiance délétère, qualifiée parfois de boy’s club, que les sections syndicales au Studio Ubisoft de Paris ont joué un rôle prépondérant pour agir sur le terrain. La convention collective au sein de l’industrie vidéoludique est la convention des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, dite Syntec. Le taux de syndicalisation au sein de cette convention collective est inférieur à deux pour cent.
Alors qu’il n’y avait notoirement aucune section syndicale dans le studio, situation qui ravissait évidemment la direction, deux sections se sont créées durant l’année 2020. La première est la section syndicale Solidaires Informatique jeux vidéo, au début de l’année. La section produit le 3 juillet, deux jours après le premier article de Libération, un appel à témoignages pour tenter de libérer la parole des victimes. La seconde section provient du Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV). Le STJV a invité les victimes du studio Ubisoft à Montpellier à se rapprocher d’elles et eux pour un soutien psychologique ou un accompagnement.
La direction d’Ubisoft effectue, elle, quelques actions mineures : une partie seulement des accusés sont mis à pied, la majorité est simplement transférée à des postes moins « voyants », mais bel et bien toujours en poste. Aussi, un système anonyme, mais complètement opaque est mis en place, pour remonter à une entité indépendante les soucis. Rapidement, la section syndicale estime tout ceci insuffisant au vu des témoignages recueillis. Ainsi, à la fin du mois de juillet, elle publie sur son site : « Le syndicat Solidaires Informatique annonce travailler sur une action collective en justice contre le groupe Ubisoft ».
Quels jeux pour demain?
En dépit de ces actions, le groupe continue de faire la sourde oreille. Par exemple, le site Numerama publiait en septembre 2020, de graves accusations similaires dans un studio d’Ubisoft basé à Paris : Nadéo [5]. Cet article faisait suite à un autre appel à témoignages du syndicat. Malgré ces témoignages effarants d’abus de pouvoir, la direction d’Ubisoft n’a pas réagi publiquement et ne semble avoir entrepris aucune enquête interne.
Évidemment, les problèmes de sexisme ne s’arrêtent pas aux portes d’Ubisoft. La même année, le studio californien de jeux vidéo Insomniac Games s’est vu porter le même genre d’accusations. Plusieur·es employé·es ont décidé de démissionner pour protester contre une culture du harcèlement envers les femmes du studio.
Le schéma semble se répéter. Même si des actions syndicales sont enclenchées et permettent l’accompagnement des victimes d’une industrie historiquement et structurellement sexiste, d’énormes combats de fond doivent encore être menés. La lutte pour l’égalité, pour les droits des femmes et des minorités, doit continuer d’être une priorité. Avec un taux de syndicalisation très bas dans ce secteur, il faut également s’attacher à rassembler les travailleuses et les travailleurs pour qu’ils et elles décident, ensemble, de comment s’organiser pour produire dans un contexte sain et démocratique, des jeux pour toutes et tous.
H. (UCL Paris Nord-Est)