La prise en charge de la santé des femmes présente ce paradoxe qu’elles ne sont parfois pas crues quand elles sont malades, les symptômes étant imputés à un état dépressif, ou anxieux, ou même à l’exagération et que, en contrepartie, elles ne sont pas prises en charge correctement quand elles ont des soucis relevant de la psychologie ou de la psychiatrie. Dans les deux cas, les stéréotypes et idées préconçues sur les femmes qu’inculque le patriarcat influent sur le diagnostic.

Quand la formule du Levothyrox, médicament de l’hypothyroïdie majoritairement pris par les femmes, a changé, ce sont principalement ces dernières qui ont signalé des effets secondaires, assez sérieux parfois. Les médecins ont été quasi unanimes  : c’était l’effet nocebo – le contraire de l’effet placebo  : n’avoir pas confiance dans un produit provoque des symptômes – ou même de l’hystérie. Finalement l’ancienne formule a été rétablie dans certains cas et temporairement, ce qui indique qu’il y avait bien un problème, pendant que les patientes devaient reprendre tout le réglage du traitement.

L’endométriose, migration de cellules de l’utérus dans l’abdomen, provoque des douleurs terribles pendant les règles ou en faisant l’amour, et peut avoir des conséquences importantes (nécrose des parois vaginales par exemple) [1]. Les femmes en souffrant ne sont toujours pas vraiment écoutées, la maladie est toujours méconnue des soignantes et soignants mais la médecine commence à s’en préoccuper parce que des femmes se sont constituées en association et (surtout) parce qu’elle nuit à la fertilité.

La norme en matière de médecine, c’est le corps des hommes. Les tests du Levothyrox nouveau ont été faits majoritairement sur des hommes jeunes alors qu’il est utilisé par des femmes ayant 56 ans en moyenne, juste parce qu’il est plus facile de tester les médicaments sur des humains sans variations hormonales.

Les symptômes méprisés

Dans l’imaginaire patriarcal, les femmes sont fragiles et émotionnellement instables. D’où une indifférence médicale à leurs douleurs, voire un mépris. Entre «  vous êtes douillette  », «  c’est dans votre tête  » et autres «  il faut être patiente  », des maladies, jusqu’au cancer, sont ignorées ou mal diagnostiquées [2]. Une étude canadienne a montré que face à des symptômes d’infarctus les hommes sont correctement diagnostiqués et les femmes, dans un premier temps, diagnostiquées comme faisant une crise d’angoisse. Retard au diagnostic, perte de chances… [3]

D’après l’OMS, la dépression touche deux fois plus les femmes que les hommes. Si les causes sont multiples et entrecroisées (psy, physique et sociales) les causes sociales pèsent lourd  : conditions de vie et de travail dans des sociétés inégalitaires ; charges physiques, mentales, relationnelles qui leur incombent  ; difficultés d’accès aux ressources matérielles et statutaires  ; violences. Selon une enquête de Santé publique France de 2017, 10 % des Françaises ont tenté de se suicider au moins une fois (contre 4,4 % pour les hommes) [4]. Une étude anglaise constate que le stress induit par le sexisme favorise la dépression [5].

Les causes de la surreprésentation des femmes sont discutées  : conditions sociales plus désastreuses pour les femmes et poids des variations hormonales ou surdiagnostic parce que les femmes parlent plus facilement de leurs émotions et parce que l’idée fausse que les femmes sont psychologiquement fragiles favorise ce diagnostic. Compte tenu que les femmes continuent à vivre, à enfanter, à aimer, à nourrir, à aider, à travailler… malgré ce que les hommes leur font subir, les penser psychologiquement plus fragiles que les hommes est un sacré aveuglement.

Quoi qu’il en soit, deux fois plus de femmes que d’hommes sont médicamentées pour dépression, également parce qu’à symptômes égaux, elles se voient plus souvent prescrire des antidépresseurs. Ce qui est un moindre mal par rapport à d’autres thérapies actuelles ou passées.

Quand c’est dans la tête, c’est aussi social

Une «  thérapie  » encore pratiquée contre la dépression est l’utilisation des électrochocs, essentiellement contre la dépression profonde. Les électrochocs concernent deux à trois fois plus les femmes que les hommes, et de plus en plus les personnes âgées. Les effets sont importants  : perte de mémoire handicapante pour une vie normale, diminution des capacités. Ces effets peuvent être analysés comme étant ceux recherchés pour discipliner les femmes [6]. D’autres conséquences sont répertoriées allant jusqu’au suicide. Si les victimes n’étaient pas majoritairement des femmes, cette thérapie existerait-elle encore  ?

La psychiatrie au service du patriarcat

Les lobotomies ont cessé d’être pratiquées depuis l’invention des neuroleptiques. Elles étaient destinées à calmer les schizophrènes, les déprimé·es jusqu’au suicide, les personnes inadaptées sociales… et elles ont concerné en France, Belgique et Suisse des femmes dans 84 % des cas [7].

À l’ouverture des établissements spécialisés dans la «  folie  » au XIXe siècle, nombreuses ont été les femmes enfermées simplement parce qu’elles dérogeaient à l’ordre patriarcal et ne restaient pas à la place qui aurait dû être la leur. Et ça a continué longtemps (est-ce que ça a cessé  ?). Un pavillon pour «  aliénées difficiles  » fut crée à Villejuif en 1933. Une étude des femmes internées dans ce pavillon a montré qu’il s’agissait surtout de femmes en rupture d’ordre patriarcal  : filles mères, célibataires, en rupture avec l’autorité parentale, délinquantes. Certaines étaient internées parce qu’elles se prostituaient occasionnellement. Les cycles des internées étaient suivis très attentivement, sur des «  feuilles de règles  », parce qu’une femme déréglée est une femme déséquilibrée [8]. Ailleurs, l’internement des épouses remplaçait le divorce [9].

Les stéréotypes genrés produits par l’ordre patriarcat ont des conséquences dramatiques sur les corps des femmes. Soit qu’elles soient qualifiées de douillettes et qu’on ne prenne pas en compte leurs douleurs physiques, soit qu’on n’écoute pas leurs blessures psychologiques, la santé des femmes est le parent pauvre de la médecine.

Christine (UCL Sarthe)

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Mensuel Alternative Libertaire, mai 2021