Par Chloé (AL 93)

Fight_Fortress_Europe_by_grendelinoEn ces temps où les États-Unis pensent stopper l’immigration en provenance du sud en construisant un mur et où des bateaux entiers de migrants et migrantes périssent refoulés au large de l’Australie, l’Europe n’est pas en reste et poursuit sa politique xénophobe de continent assiégé.

Début octobre, des affiches inhabituelles ont recouvert les murs de quelques grandes villes, comme Paris ou Roubaix, pour alerter les étrangers et étrangères sans papiers de la multiplication des contrôles policiers qui aurait lieu du 13 au 26 octobre dans toute l’Europe. C’est l’opération Mos Maiorum lancée par le Conseil de l’Union Européenne.

Cette «  Joint Police Operation  » en coordination avec Europol et Frontex, a organisé dans l’ensemble de l’UE et de l’espace Schengen des contrôles d’identité massifs, dans des points stratégiques, de tous ceux qui pouvaient ressembler à un étranger. Tous les États étaient invités à y participer et à mobiliser leurs différentes forces de police. L’objectif était de mettre à jour les données des flux migratoires, les nouvelles routes, les modus operandi, de collecter des données personnelles sur les détenteurs et détentrices de faux documents, les demandeuses et demandeurs d’asile et les passeurs. C’était aussi de cultiver le travail commun entre les États membres, et le partenariat avec les États tiers travaillant avec Frontex et qui doivent multiplier les contrôles aux frontières, ceux-là mêmes qui enferment dans leurs camps, pour le compte de l’Europe, les migrants et les migrantes indésirables et à qui l’on demande d’empêcher leurs propres ressortissants et ressortissantes de quitter leur pays.

La toile

Il est prévu que les résultats de cette chasse à l’étranger soient communiqués le 11 décembre au «  Groupe de travail Frontières  » (chargé plus spécifiquement des faux) et aux États participants.

Cette opération, qui n’est pas la première, s’inscrit dans une politique de maillage de la surveillance et de l’information pour laquelle a été créée, en 2013, un nouvel appendice de Frontex, Eurosur, le Système européen de surveillance des frontières. Il vise à renforcer le contrôle des frontières extérieures terrestres, maritimes et aériennes de l’espace Schengen (et de quelques complices comme l’Irlande, le Royaume Uni, l’Islande, la Suisse ou le Liechtenstein) grâce une technologie de pointe (radars, capteurs, drones, satellites) et permet le partage des informations entre tous les États 24 heures sur 24. La grande toile couvre l’Europe qui se bunkerise toujours plus et sombre dans la paranoïa, l’œil rivé à chaque centimètre de frontière, épiant dans la nuit la source de chaleur suspecte, la barcasse surchargée qui coule lentement. En écho aux fanatiques défenseurs d’un substrat biologique – ou culturel – européen, elle nourrit à coup de milliards le fantasme de l’invasion, au détriment de droits fondamentaux. Et au prix de drames humains.

Médiatisation de la tragédie

Après le naufrage de 366 personnes au large de Lampedusa, le 3 octobre 2013, et de 200 autres quelques jours plus tard, il n’a plus été possible de passer sous silence le sort des réfugié-e-s. Ceux-ci, non secourus par les patrouilleurs de Frontex, les bâtiments de Malte ou de l’Otan… le sont plus souvent par des pêcheurs, poursuivis ensuite pour « complicité d’immigration illégale », quand ils ne périssent pas par milliers en Méditerranée dans l’indifférence générale. À cette même époque, l’Italie fait l’objet d’une condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour avoir refoulé des bateaux vers leurs côtes d’origine (notamment de Lybie), une pratique interdite mais alors habituelle de la part de la marine italienne. Le gouvernement italien, pour calmer l’opinion publique internationale, lance alors l’opération Mare Nostrum qui doit secourir les migrants et migrantes en mer et les emmener dans le Sud de l’Italie. Plusieurs bâtiments militaires vont parcourir la Méditerranée pendant un an, recueillant environ 100 000 personnes. Mais cette opération ne donne aucune garantie sur le sort des secourus ni sur la reconnaissance de leur statut de réfugié-e-s, pas plus qu’elle n’a pu éviter 3 000 noyades entre janvier et septembre 2014 (estimation du Haut-commissariat aux réfugiés).

La patate chaude

Mare Nostrum prend fin le 1er novembre 2014 et est remplacée par une opération Frontex Plus dénommée Triton. Une flotte constituée de petits navires, inadaptés pour recueillir les centaines de passagers et passagères de chaque embarcation, sillonnera la Méditerranée et, comme lors des opérations antérieures de cette même agence, ne fera que détourner les migrantes migrants vers des voies encore plus dangereuses (voir encadré ci dessous). L’hécatombe va donc se poursuivre. L’afflux de réfugié-e-s provoqué par Mare Nostrum, a conduit l’Italie à braver le règlement de l’accord Dublin III, qui impose au premier pays européen sur lequel les migrants et migrantes ont posé le pied, d’effectuer leur prise d’empreintes. Ce «  traçage  » a pour conséquence que ce pays sera le seul où ils pourront déposer une demande d’asile, et interpellés dans tout autre pays, ils y seront refoulés. Autant dire que cet accord imbécile fait peser sur l’Italie, comme sur la Grèce, un poids particulier que les autres États européens ne sont pas prêts à se répartir. L’Italie a dû reprendre les empreintes face aux protestations des États européens, dont la France et la Grande Bretagne qui ont bien compris qu’une grande partie des personnes non enregistrées (notamment celles venant d’Érythrée, du Soudan, d’Afghanistan, de Syrie ou d’Irak) ont pour objectif la traversée de la Manche.

Regroupés essentiellement à Calais à l’époque de Sangatte, fermé en 2002, la politique répressive (traque, expulsion de squats, de campements) n’a fait que déplacer le problème et une partie des exilé-e-s (voir encadré).

De la Méditerranée à la Manche

Mais leur nombre a augmenté pour atteindre environ 2 000 à 2 500 à la suite de l’opération Mare Nostrum (estimation faite sur la base de la distribution de repas). Le Front National ne manque pas de faire ses choux gras de la situation, surfant sur une parole xénophobe qui se libère, notamment au cours de la manifestation du 13 octobre dernier, réunissant chasseurs, paysans, commerçants et même un syndicat, FO Police. Les agressions contre les migrantes et migrants se multiplient, la presse se retourne contre ces derniers accusés de faire monter l’insécurité à Calais. Marine Le Pen apporte son soutien, herself, dix jours plus tard en s’y déplaçant. Après la signature, en septembre, de l’accord franco-britannique qui prévoit l’amplification de dispositifs sécuritaires autour du port et de ses accès, Bernard Cazeneuve vient inaugurer le 3 novembre un énième dispositif à prétention humanitaire. Il s’agit d’un accueil de jour pour 400 «  exilés vulnérables  » (entendez femmes et enfants, les hommes et mineurs-e-s isolé-e-s en étant exclus), bricolé dans un ancien centre aéré d’été (sans chauffage) à une heure de marche du centre-ville, sans lieu de repos. Un ghetto loin des regards où sera distribué un repas par jour. Dès leur ouverture, on peut prévoir que le squat Galou et le camp Ti Oxyde seront fortement menacés d’expulsion malgré la défense active des associations de soutien aux migrants de Calais.

À qui profite le crime ?

Outre le profit que tire le patronat de la main d’œuvre corvéable et captive que constituent les sans-papiers, outre la mafia des passeurs qui n’existe et ne prolifère que grâce à la politique de l’Europe forteresse, le marché du sécuritaire et de la surveillance des frontières s’avère un marché fructueux. Frontex, qui compte les États membres de l’UE et les États tiers, se révèle être un souscripteur de premier choix. Présente aux nombreux salons de l’armement, de l’aéronautique et des industries de pointe de la sécurité et de l’imagerie, l’agence européenne, courtisée par les industriels, joue le courtier entre les bailleurs de fonds (les États) et les marchands.

Droit de circulation et d’installation pour tous

C’est avec l’appui des fondamentaux idéologiques de l’extrême droite et des valeurs du capitalisme libéral que l’Europe se barricade chaque jour davantage derrière ses frontières. Elle fait la cour à la peste brune et à ses alliés de toujours, les grands industriels, notamment de l’armement et du sécuritaire. Il faut ouvrir les frontières, toutes les frontières. C’est la seule solution  : juste et réaliste. Mais cette mesure ne sera réellement satisfaisante que si l’on s’attaque aussi aux raisons des migrations, majoritairement subies, fruits de la guerre, des persécutions ou d’une pauvreté qui n’est pas sans lien avec le pillage organisé des pays du Sud par ceux du Nord.

 Source : AL Le Mensuel, décembre 2014