Propos recueillis par Vince (Al Paris Nord-Est)
Le mouvement No Tav lutte dans la vallée de Suse (Italie) contre le projet de ligne de train à grande vitesse Lyon-Turin. C’est l’un des mouvements écologistes important actuellement en Europe. Des militants et militantes de la FdCA (organisation communiste libertaire italienne) ont accepté de répondre à nos questions.
Alternative Libertaire : Pouvez-vous nous faire un petit résumé de l’histoire de la lutte contre le projet de TGV Lyon/Turin ?
Le mouvement No Tav naît dans les années 1990 des assemblées populaires appelées par des comités spontanés des habitants du Val di Susa contre le projet de construction de la ligne à grande vitesse entre Turin et Lyon. L’opposition naît du refus de sacrifier une vallée entière, avec son économie, sa culture et ses habitants à un projet dont on comprend l’inutilité stratégique pour un développement économique effectif ainsi que les risques environnementaux et sanitaires qu’il implique. On se souvient des impacts dévastateurs que le TGV a amené par exemple dans les Apennins avec la construction de la ligne Florence-Bologne – défiguration du territoire, épuisement des ressources pérennes et processus d’infiltration mafieux ainsi que présence dans les montagnes à franchir de minerais contenant de l’uranium et de l’amiante, avec le risque conséquent de propagation incontrôlée des fibres et des radiations.
La lutte recueille immédiatement un très large consensus dans la vallée, une vallée, il est bon de le rappeler, qui a une glorieuse histoire de résistance antifasciste derrière elle (toutes les sections ANPI – Associazione Nazionale Partigiani, association nationale des partisans – de la vallée et même des zones limitrophes sont No Tav).
Les premières manifestations importantes se déroulent en 1995 et le mouvement commence à s’élargir à la ville de Turin. En 1998, la magistrature turinoise enquête sur trois camarades anarchistes proches du mouvement squatter turinois et les accuse d’éco-terrorisme pour quelques épisodes de sabotages dans la vallée. Le 28 mars 1998, Edoardo Massari (l’un des trois arrêtés) sera retrouvé mort pendu à la prison de Turin, un peu plus de 3 mois plus tard, c’est Soledad Rosas (alias Sun), compagne de Massari, qui se suicide dans la communauté où elle purgeait sa peine de résidence surveillée. Quelques années plus tard (en 2002) la cour de cassation de Rome annulera la condamnation de terrorisme pour le trio arrêté, et Silvano Pelissero, dont la peine est réduite de moitié, est libéré de prison.
Cet épisode signe le début de l’attaque politique, juridique et médiatique contre le mouvement No Tav :
- politique : au niveau national, jusqu’aux dernières élections aucun parti n’était contre le TGV. En 2006, même les verts, les communistes italiens et Refondation communiste, pour appuyer le gouvernement Prodi, signent les projets pour les grands travaux y-compris la ligne Turin-Lyon. La Ligue du Nord, parti qui se défini localiste et attentif aux problématiques locales, se garde bien de s’exclure du banquet de milliards du TGV et se prononce pour lui alors que le TGV va perdre beaucoup de consensus dans la zone. Actuellement, seul le Mouvement 5 étoiles s’est positionnée contre la ligne Turin-Lyon.
- juridique : comme l’a dénoncé l’écrivain Erri De Luca, le parquet de Turin a une section dédiée au mouvement No Tav. Jusqu’à aujourd’hui, il y a plus de 600 inculpés pour divers délits liés à la lutte. La tentative du parquet a été de créer une division au sein du mouvement entre les bons et les mauvais, les villageois et la solidarité venue d’autres parties de l’Italie.
- médiatique : Il n’y a pas de journal qui ne s’attaque pas au mouvement No Tav. Pendant des années les médias ont associé le mot No Tav au mot violence. Chaque manifestation qui se déroule sur le territoire national et qui se termine par des affrontements avec la police se retrouve marquée comme No Tav dans la presse. La séquestration d’une partie des chantiers pour les œuvres préliminaires de la ligne Turin-Lyon par les infiltrations mafieuses ont eu moins de couverture médiatique que les plaintes et les arrestations contre les militants No Tav.
On a pu voir que ces dernières années, la lutte s’était accélérée, qu’en est-il aujourd’hui ?
Le grand mérite du mouvement No Tav c’est qu’il ne se limite pas à protester contre la ligne à grande vitesse, mais qu’il s’est engagé sur une voie d’analyse critique de l’organisation de la société. Non aux grands chantiers, mais aussi non à la privatisation de l’eau, non aux coupes dans des pensions, non à la précarisation du travail, non aux missions de « paix », non au racisme, non aux expulsions, non aux dépenses militaires, oui à la santé publique, oui à l’école publique, etc. La grande participation à la manifestation du 3 juillet 2011 a consacré le mouvement No Tav comme un point de référence des luttes en Italie et, malgré la répression, continue de l’être à ce jour.
Quel est l’arc de force des opposants ? Est-ce que ce sont des militants locaux ? Est-ce que les organisations syndicales et politiques sont mobilisées contre ce projet à l’échelle du territoire italien, comme on a pu le voir à propos de NDDL en France par exemple ?
Le mouvement No Tav est hétérogène : il va des composantes catholiques au mouvement anarchiste plus radical. Il est important de distinguer le niveau local du mouvement du niveau national.
Au niveau local, chaque pays de la vallée a un comité qui fait le travail de synthèse des différentes propositions. La lutte contre la ligne Turin-Lyon est profondément enracinée sur la territoire du Val di Susa. Lors des dernières élections locales, les listes civiques liées au mouvement No Tav ont toutes gagné. Le mouvement No Tav a également participé aux luttes des travailleurs de certaines fabriques en crise dans la vallée.
Au niveau national, le mouvement No Tav trouve de l’appui dans les réseaux de l’opposition sociale : Les centres sociaux, les associations non seulement environnementales et autres comités de luttes dispersés sur le territoire (surtout le mouvement sicilien Nomuos), mais aussi du syndicalisme de confrontation.
Les confédérations syndicales ont à l’inverse fait des déclarations en faveur des lignes à grande vitesse dans une perspective d’emploi et signalent de fait une prise de distance avec le mouvement, même si à l’intérieur de la CGIL, la FIOM – la catégorie du métal – et l’aire des minorités se sont exprimés avec des documents nationaux pour appuyer la lutte No Tav, et ils voient le TGV comme un danger parce que comme pour chaque grand chantier fait en Italie se crée le triangle habituel entreprenariat-politique-mafia. Une curiosité : dans tout le Val di Susa il ne se trouve pas un prêtre disposé à bénir les chantiers du grande vitesse.
La lutte a subie dernièrement une forte répression ces derniers temps. Sept personnes ont été incarcérées et accusées de terrorisme. Que s’est il passé ? Quand est il du procès en cours ?
Comme pour les faits de 1998, une fois de plus le parquet de Turin écrase de sa main et, après avoir joué la carte de la conspiration (un facteur aggravant qui permet de maintenir quelqu’un deux ans en prison préventive), abaisse cette fois la carte du terrorisme en se référant à une loi créée en pleine psychose sur l’extrémisme islamiste. Une loi qui est sujette à mille interprétations et qui permet d’accuser de terrorisme une personne « soupçonnée » d’avoir mis le feu à un compresseur ! Une loi qui a une portée dévastatrice pour la contestation en Italie et dont les conséquences sont encore sous-évaluées par de trop nombreux camarades.
Actuellement, les « suspects » sont détenus sous le régime d’isolement (41bis). La cour de cassation a statué que l’accusation de terrorisme est est disproportionnée par rapport à la portée des délits reprochés, mais dans le même temps la détention préventive reste en place et en attendant que la cour de révision dise quelque chose les 7 camarades restent en prison.
Quelle suites va prendre cette lutte ? Quels sont les liens de la lutte des No Tav avec l’international (collectifs en France, liens avec NDDL par exemple, mais aussi l’accueil des collectifs de soutiens aux peuples du Chiapas en lutte en juin par exemple qui se sont tenues dans le Val di Susa) ?
Le Val di Susa est en particulier les camps d’été sont un laboratoire important pour de nombreuses lutte. Comme dit plus haut, le mouvement No Tav a compris que pour pouvoir gager cette lutte il faut s’ouvrir à tous les autres mouvements et alimenter une critique sociale qui met au centre une nouvelle manière de penser le monde : la dévastation du Val di Susa à la même origine que la l’exploitation du paysan mexicain.
Il est difficile de dire quelles voies prendra la lutte. Les forces réactionnaires sont en train de mettre beaucoup d’énergie pour s’opposer au mouvement No Tav. Les pouvoirs en place insistent, le TGV va se faire, même si son inutilité est manifeste, y compris dans un cadre de développement capitaliste, pour prouver qu’un mouvement de base n’a pas son mot à dire sur la gestion du territoire, qu’il ne peut pas influer sur les gestionnaires, qu’une lutte populaire ne peut pas gagner.
Dans un phase historique où la crise économique se fait toujours plus sentir et où les points de références politiques « institutionnels » sont définitivement affaiblis, un mouvement comme No Tav dérange beaucoup et d’une façon ou d’une autre doit être réduit ou supprimé. Parce que le mot d’ordre « on part et on revient ensemble » donne un signal d’unité auquel chaque mouvement d’opposition sociale apprend à répondre.
Cela signifie de s’opposer au jeu de la criminalisation et de la division porté en avant par le pouvoir, cela signifie une prise de décision horizontale et d’élaboration collective, cela signifie le respect des expériences et des diverses formes de lutte mais rester unis dans l’objectif commun de s’opposer à la dévastation que le capitalisme fait de nos terres, de nos vies, ça signifie une bataille qui devient le symbole qui permet de fédérer les diverses lutte que chacun construit et conduit dans son propre territoire. Ceci est la grande leçon que la lutte No Tav nous a amené a partager. Et étendre les luttes c’est l’unique moyen de les gagner.
Comment pourrait-on soutenir cette lutte ?
En se tenant du côté des opprimés et contre les oppresseurs, en France comme à tous les coins de la terre.