Par Yannis Androulidakis (Rocinante)

10885529_10152996985672276_178701586058206979_nLes événements de l’été ont laissé le peuple grec dans une situation catastrophique, mais ils auront au moins eu le mérite de plomber les vieilles lunes électoralistes ou référendaires. Et de mettre les libertaires sur le devant de la scène.  Analyse d’un membre de l’Initiative anarcho-syndicaliste Rocinante.

Le 25 janvier, l’élection de Syriza en Grèce a secoué l’Europe. Pour la première fois dans l’histoire contemporaine du continent, un parti de la gauche dite radicale sortait victorieux par les urnes et avait le droit de former un gouvernement.

Le soir même, devant le siège de l’université, les symboles de la résistance contre le gouvernement odieux d’Antonis Samaras étaient présents à la fête : les femmes de ménage licenciées par le ministère des Finances, les travailleurs d’ERT – la télévision publique supprimée –, des immigré.e.s présent.e.s dans la lutte antirasciste, des jeunes militants, des chômeurs, des travailleurs qui avaient subi une dure répression pendant la période 2009-2015.

Même nous, les libertaires les plus méfiants, ne pouvions pas imaginer un tel retournement de situation sept mois plus tard.

Avant que le Premier ministre Tsípras ne démissionne, le 21 août, en raison du refus de la tendance de gauche de Syriza de suivre sa volte-face et la perte de la majorité au Parlement, le bilan du gouvernement aurait pu rendre la droite jalouse : prolongation du programme d’austérité terminé le 20 février, puis validation d’un troisième mémorandum qui prévoit des contre-réformes que la droite n’avait jamais osé voter :

  • libération totale du droit de licencier pour les patrons,
  • restriction du droit de grève,
  • saisie du logement pour dettes envers les banques,
  • nouvelle réduction des retraites,
  • augmentation jusqu’à 100% de la TVA sur les produits d’alimentation de base…

Entretemps, le gouvernement a bel et bien montré sa détermination sur tous les plans : le 15 juillet, la manif contre le troisième mémorandum (approuvé par le Parlement grâce aux voix de la droite, alors que Syriza a vu un cinquième de son groupe – 31 sur 149 – voter contre l’accord) s’est terminée par la répression des manifestants.

Les policiers à moto ont envahi le cortège de l’Initiative anarcho-syndicaliste Rocinante et arrêté plusieurs manifestants.

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Rocinante dans la rue le 15 juillet pour dénoncer la trahison du référendum par Syriza.

Un mois plus tard, la police a réprimé les refugié.e.s de l’île de Kos, au canon à eau. En parlant des mouvements sociaux, le ministre de l’Ordre public, Yannis Panoussis, a déclaré être « déterminé à écraser l’illégalité ».

Double escroquerie

Cette politique se fonde évidement sur une double escroquerie politique : la trahison, dès le début de son mandat, du programme dit de Salonique, sur lequel Syriza avait été élu ; et bien sûr la trahison du Non écrasant (61,2 %) au référendum du 5 juillet.

Ce référendum avait été appelé par Tsípras dans l’espoir d’un résultat mitigé qui lui donnerait l’occasion d’opérer un virage politique à droite, sans en assumer la responsabilité ni les conséquences. Le Non l’emporta largement, dans une atmosphère très combative – marquée certes par une conscience plébéienne plutôt que par une conscience de classe. Néanmoins, les électeurs se trompaient sur les intentions réelles du gouvernement.

La trahison de Tsípras a assommé la gauche et une grande partie des travailleurs. Sur les 300.000 personnes qui avaient manifesté pour le Non le vendredi 3 juillet, seules 15.000 revenaient dans la rue le 15 juillet, pour protester contre la ratification du troisième mémorandum. Évidemment, pas question de grève, alors que les bureaucrates de la GSEE (seule centrale grecque, du genre CFDT) avaient fait campagne pour le Oui…

On s’est alors rendu compte que les avertissements libertaires n’étaient pas un vain grognement.

Une trop sage campagne du Non

La participation à la campagne pour le Non, et même un triomphe du Non n’étaient en rien une garantie. C’est l’organisation de classe et la lutte qui nous défendent, pas les urnes, y compris celles du référendum. Et ceci était la grande lacune de la campagne pour le Non.

La réticence de la gauche anticapitaliste à rompre avec la GSEE, ainsi que la sous-estimation du travail syndicaliste à la base, ont cantonné la campagne du Non à une dimension politicienne. Ni grèves ni ripostes directes aux chantages patronaux, à l’exception de quelques actions isolées.

L’idée fixe de la gauche anticapitaliste (en tout cas de certaines tendances droitières de la coalition d’extrême gauche Antarsya) de former un front du Non avec les dissidents de Syriza — qui ne font que répéter les illusions que leur parti a semées à partir de 2011 sur le changement de l’Union européenne et une gestion « équitable » du capitalisme — mènera à la même impasse.

Les libertaires en pointe

L’Initiative anarcho-syndicaliste Rocinante, l’organisation libertaire la plus présente depuis quelques années, a profité d’une période de maturation violente et a bénéficié d’une augmentation réelle de sa force et de son poids. Cela n’a pas été sans à-coups : dans les semaines qui ont suivi le référendum, Rocinante a subi la scission d’un groupe de puristes.

Cela ne saurait effacer les progrès réalisés par Rocinante cet été. L’organisation n’a pas été seulement présente dans la rue dans plusieurs villes de Grèce, mais a aussi mené une série d’actions contre le terrorisme patronal.

Et si notre taille est toujours loin de nous permettre d’organiser une grève, nous avons présenté un programme de lutte et de revendications de classe qui n’a pas laissé indifférente une partie radicale de la classe ouvrière. Cela donne de l’espoir pour la création du front ouvrier et syndical dont nous avons besoin. Espérons qu’avec les élections de ce mois-ci s’effondreront les dernières illusions qui nous écartent de cette perspective.

AL, le Mensuel, septembre 2015