Propos recueillis par Nicolas (AL Moselle)

Il a débuté le rap il y a vingt ans mais peu de monde le connaît encore. Le rappeur VII a créé son univers mais développe également une dimension sociale et politique. Rencontre avec ce personnage atypique qui sort son huitième album le 1er octobre.

JPEG - 195.7 ko

Peux-tu nous exposer ton parcours ? Comment en es-tu venu à ce style définitivement « à part » dans le rap français ?

J’ai commencé le rap en 1995 à Bayonne. Avec un ami on a monté notre groupe, on s’enregistrait avec les moyens du bord. En 2002, nous avons quitté le Pays basque pour nous consacrer à la musique et on a atterri à Bordeaux. En 2005, on a monté notre label indépendant avec des artistes du coin puis j’ai sorti mon premier album solo en 2007… Je suis aujourd’hui sur le point de sortir le huitième. J’ai aussi travaillé sur pas mal de projets en parallèle. Depuis le départ j’ai toujours voulu avoir ce style différent, plus imaginatif et loin des stéréotypes du milieu du rap. J’ai toujours aimé sortir des sentiers battus.

Tu rends régulièrement hommage à des musiciens/chanteurs de la musique metal. C’est pas habituel, d’autant que ces scènes ne sont pas les moins sectaires…

Quand je rends hommage à Cliff Burton ou Chuck Shuldiner, c’est avant tout une manière pour moi de leur dire merci. De leur dire que grâce à eux j’ai vécu des moments forts et qu’ils ont totalement modifié mes conceptions musicales. La scène metal n’est pas si sectaire qu’on le croit, j’ai tous les jours des fans de metal qui viennent me voir en me remerciant de leur avoir fait découvrir un rap différent. Je pense qu’ils me perçoivent comme un mec ouvert d’esprit qui a fait un pas vers eux et qu’ils retrouvent dans ma musique ce qu’ils aiment dans le metal. J’ai un profond respect pour cette musique et son histoire !

« Les gourous de papier pour des jeunes sans repères, des conspirationnistes en révolutionnaires. » Tu as constaté le glissement d’une certaine partie du rap français comme des quartiers populaires vers ces thèses… Tu l’expliques comment ?

Le « conspirationnisme », tout le monde s’y est mis, pas seulement le rap français et les quartiers populaires, tu retrouves aussi ces thèses dans des milieux plutôt aisés et depuis longtemps le rap américain est aussi touché par ce phénomène. Internet a favorisé l’éclosion des complotistes en répandant toutes sortes de théories plus ou moins tirées par les cheveux. L’extrême droite a sur Internet une puissance d’information bien plus développée que la nôtre. Même s’il existe quelques sites qui font un vrai travail en coordination avec la lutte sur le terrain, ils sont encore peu nombreux et ont trop peu d’impact. Il y a aussi bien sûr un aspect humain à prendre en compte : mater une vidéo de 20 minutes sur son canapé c’est moins douloureux que se taper le Capital de Marx. Beaucoup n’adhèrent à ce genre de théorie que pour « bouffer du juif ». Personnellement, j’ai été éduqué dans un milieu où le flic, le patron, le bourgeois, le fasciste est un ennemi de classe. J’ai donc eu les clefs pour ne pas tomber dans ce genre de piège idéologique, mais nous n’avons pas tous les mêmes bagages pour appréhender la complexité du capitalisme et de l’impérialisme. C’est à nous de vulgariser nos connaissances, à travers la musique par exemple. Et ce n’est pas parce que certains voient des complots partout qu’il ne faut en voir nulle part. Historiquement, les complots existent et sont même des manœuvres politiques fréquentes.

Sur ton dernier album, Culte, tu t’en prends aux religions, du moins à leurs intégristes. La chanson se nomme Monothéiste… Es-tu autant critique envers le polythéisme, le paganisme ?

Disons que le polythéisme et le paganisme n’ont pas l’impact qu’ont les religions monothéistes aujourd’hui. Mais je ne considère pas les religions comme forcément dangereuses, j’ai une opinion qui est plus complexe que ça sur ce sujet. Certains croyants ont une interprétation du monde plus subtile et intelligente qu’on ne le pense, la Théologie de la libération en est un bon exemple. Et les croyants, musulmans et juifs par exemple subissent au quotidien des discriminations. Donc à nous de lutter contre ces dernières, qu’elles soient sexuelles, sociales, raciales ou religieuses.

Dans Le Temps d’un hiver, tu parles des Roms : « Harcelés par le froid, ils ne prennent pas de gants / Quand la police française vient pour raser nos camps. »Besoin d’en parler alors que c’est l’indifférence générale les concernant ?

Je pense qu’on a dépassé depuis longtemps le stade de l’indifférence, on est dans le racisme, dans la haine pure et simple du pauvre. Une peur irrationnelle. Mais c’est surtout ce racisme assumé à leur égard qui m’a donné envie ­d’écrire ce morceau. C’est actuellement la même haine qui se déverse sur les migrants… La France n’accueille pas toute la misère du monde, par contre elle l’exploite, et quand elle n’y arrive pas, elle la réprime.

Ton album Éloge de l’ombre sort le 1er octobre 2015. Dans le clip Fleur d’équinoxetu fais référence aux rappeurs qui « chanteront tous avec des vocodeurs ». Le rap t’ennuie à ce point ?

Je pense que, ces dernières années, on touche le fond. C’est comme ça depuis les années 2000, même un peu avant. Le rap change de forme tous les six mois, actuellement c’est le « trap », demain ça sera autre chose. Je pense que l’erreur qu’ont commise les rappeurs avec un style classique a été de définir leur rap en appelant ça du « boom bap » alors que ce n’est ni plus ni moins que du rap qui ne suit pas les modes tout simplement. Heureusement dans l’underground tu trouves toujours du son intéressant et des gens qui ont le fond et la forme… Mais le bon rap est effectivement en voie d’extinction depuis déjà longtemps.

Il semblerait que tu t’exprimes de plus en plus sur le terrain social et politique. C’est quelque chose que tu comptes poursuivre à l’avenir ? Qu’est-ce qui te motive à donner, de plus en plus, ton point de vue là-dessus ?

Éloge de l’ombre, mon album à venir, est clairement le plus politique de tous. Après est-ce que les suivants suivront le même chemin ? Probablement, car j’en ressens le besoin. Dernièrement, une multitude d’événements m’ont poussé à me réinvestir politiquement, chose que j’avais mise entre parenthèses depuis plusieurs années en me contentant de sortir quelques morceaux politiques et d’écrire quelques articles dans un fanzine. Je savais que suite aux attaques contre Charlie Hebdo, nous allions avoir droit à un arsenal de lois liberticides… Nous sommes désormais aux États-Unis après le 11 Septembre. Que le racisme antimusulman allait prendre une ampleur colossale était prévisible également. Dans ce contexte, difficile de rester dans son coin les bras croisés.

Après, bien sûr, chacun a des engagements qui lui sont propres, en rapport avec ce qu’il vit. Les préoccupations d’un communiste libertaire en Iparralde (Pays basque nord) ne sont pas forcément les mêmes qu’un camarade en banlieue parisienne… et pourtant, à un moment donné, il faut créer cette cohésion même si c’est compliqué. On se heurte souvent, au Pays basque, à l’incompréhension (voire au désintérêt ou à l’hostilité) des militants français et espagnols. Mais il faut bien comprendre qu’ici, le conflit armé n’a cessé que depuis quatre ans… Le sort des prisonniers basques enfermés à 800 km de chez eux, ceux que l’on torture et assassine me touche personnellement. Cela ne m’empêche pas d’être solidaire de tous les peuples en lutte pour leur autodétermination à travers le monde. C’est l’addition des luttes locales qui forme la lutte internationale.

AL, Le Mensuel, Septembre 2015