Propos recueillis par Jérémie (AL Gard), traduction de Charlotte, Jérémie et Abobora

podemos-parti-espagne-politique-pablo-iglesias1Alors que le pays connaît une situation sociale toujours aussi critique, une crise politique majeure suite aux dernières élections législatives et une répression du mouvement social qui s’invente des contours légaux avec la désormais tristement célèbre loi bâillon (ley mordaza), les temps sont durs au pays de Cervantes. Petit tour d’horizon de l’actualité sociale et politique outre-Pyrénées avec Hector Martínez, militant d’un groupe libertaire, Action sociale et syndicale internationaliste (Assi) de la ville de Saragosse en Aragon.

Alternative libertaire : Quel bilan dresses-tu des dernières élections, en décembre 2015, dans l’ État espagnol ?

Hector Martinez : Les élections législatives ont redessiné l’équilibre de l’échiquier politique espagnol. La Constitution de 1978 (issue du pacte de la Moncloa) avait créé un modèle électoral qui surdimensionnait le poids de l’Espagne rurale, peu encline naturellement au changement. Cette réalité amplifiait l’idée d’une forme de stabilité avec, dans les faits, deux partis (le Parti populaire, PP, conservateur et profondément réactionnaire, et le Parti socialiste, PSOE) qui se succédaient invariablement au pouvoir.

Les dernières élections ont changé la donne au point de présenter une situation quasi inédite depuis la Seconde République dans les années 1930. À savoir : l’émergence de nouvelles forces politiques et désormais quatre partis en capacité de gouverner. Ou plutôt cogouverner car dans les faits, pour pouvoir former un gouvernement doté d’une majorité parlementaire, ces partis doivent trouver des solutions pour ­s’unir.

Le problème, dès lors, réside dans leurs capacités à trouver des points de convergence afin de constituer cette majorité parlementaire. Une alliance entre le PP et son allié naturel, Ciudadanos (C’s) – droite libérale qui a fondé sa campagne avant tout sur la lutte contre la corruption –, comme une alliance entre le PSOE et Podemos, ne garantiraient à aucune de ces deux alliances une majorité suffisamment confortable. Et c’est là qu’est le hic. La situation la plus compliquée revient, incontestablement, au PSOE, qui a le plus à perdre quel que soit le cas de figure :

  • Une alliance PP et PSOE, appelée de leurs vœux par l’UE et l’Allemagne, provoquerait une répétition de l’expérience du Pasok en Grèce, avec le glissement d’une grande partie de l’électorat socialiste vers Podemos ;
  • Une Alliance PP et C’s avec l’appui du PSOE aurait la même conséquence ;
  • Une Alliance PSOE et Podemos ne serait possible qu’en cas de soutien des communistes de Izquierda Unida (IU) et des partis catalans. Une option quasiment impossible. Le PSOE est diamétralement opposé à toute revendication catalaniste.

Dans cette situation de blocage, de nouvelles élections pourraient être convoquées dans les mois qui viennent si aucune majorité parlementaire ne s’était formée. Dans ce cas-là, les sondages sont, d’ores et déjà, défavorables aux socialistes puisqu’ils placent Podemos et le PP en tête des intentions de votes.

Pour de nombreuses personnes, y compris au sein du mouvement libertaire ibérique, Podemos apparaît comme une alternative. Qu’en penses-tu ?

Hector Martinez : Des personnes d’idéologies diverses et variées voient en Podemos une planche de salut. Nombreux sont les adhérents et sympathisants d’organisations libertaires, anarchistes, anarchosyndicalistes, ou du milieu des squats qui semblent avoir oublié des questions politiques de base comme celle de savoir si État et marché ne feraient pas partie d’une même réalité indissoluble, s’ils ne seraient pas les deux faces d’une même pièce qu’on ne peut séparer. L’État et ses institutions sont un mécanisme régulateur secondaire du système depuis lequel rien ne peut être fait contre le ­marché.

Podemos est spécialiste en marketing électoral, ils sont très forts pour ça. Avec des discours sur : la régulation des marchés financiers, l’éradication des paradis fiscaux, des mesures de redistribution, un revenu de base, un soutien à la petite et moyenne entreprise, ils ont réussi à diriger, capitaliser et à démanteler le tissu social qui s’était créé en Espagne, au travers notamment du mouvement des Indigné-e-s, fruit du mécontentement produit par la crise économique.

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Podemos ne propose rien d’autre qu’un retour à une sorte de capitalisme des années 1960 idéalisé, sans prendre en compte le fait qu’aucune alternative politique n’est possible au moyen de l’État ou de ses institutions sans qu’elle ait auparavant été validée par le marché.

Raison pour laquelle les partis, quels qu’il soient, sont condamnés à se déplacer dans la marge des réajustements que la machine du marché veut bien admettre, tout en justifiant par « le réalisme », « le sens pratique » ou l’éternelle rengaine « du moindre mal » les futures trahisons de leurs principes.

Mariano Rajoy, le chef du gouvernement a répété, avant les élections, que la situation sociale en Espagne s’améliorait depuis quelques mois. Qu’en est-il vraiment ?

Hector Martinez : Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une amélioration des données macroéconomiques. Le PIB espagnol a retrouvé une croissance et les entreprises ont récupéré une marge bénéficiaire. On le doit principalement à des facteurs externes à l’Espagne ou à des questions conjoncturelles comme la baisse du prix du pétrole, la dépréciation de l’euro, le rachat d’une partie de la dette par la BCE ou l’insécurité d’autres destinations touristiques méditerranéennes. Et la trêve qu’a donnée Bruxelles à Rajoy dans le rythme de réduction du déficit, pour qu’il puisse gagner les élections, contribue à une certaine stabilité.

Les services publics ont souffert d’une grave détérioration, le secteur public a perdu 155 000 emplois depuis 2010. Dans la santé publique, ce sont 24 000 postes supprimés et, dans l’enseignement non universitaire, on compte 23 000 personnes en moins.

La protection sociale a été largement réduite : le montant des indemnités chômage a été baissé lui aussi de 10 % et 55 % des personnes sans emploi ne touchent aucune prestation. La loi de dépendance est systématiquement non respectée et réduite. Pour le montant des retraites, 56 % d’entre elles se trouvent en dessous du seuil de pauvreté, et il faut aussi rajouter les dernières réformes du PP et du PSOE, encore en cours d’exécution, qui les réduisent presque de moitié.

Le marché du travail a perdu 3 millions d’emplois et la population active s’est vue réduite de 500 000 personnes. Les dernières réformes du travail du PP et du PSOE, conjointement au démantèlement de la négociation collective et du gel du salaire minimum (655 euros), ont provoqué l’augmentation du taux d’emplois temporaires, le travail à temps partiel et une importante baisse des salaires.

Dans ce contexte, quelle est la réponse du mouvement social et syndical ?

Hector Martinez : Le pire dans tout ça, c’est que cette dernière année, il n’y a eu aucun mouvement social et syndical d’ampleur. En 2010, 2011, il y a eu un mécontentement général, beaucoup de gens ont vu que bien qu’ils aient été de bons citoyens et citoyennes et qu’ils aient fait ce que le système leur avait dit de faire, eh bien rien ne répond à leurs attentes. Petit à petit, ce mécontentement s’est organisé autour de groupes d’intérêt concret en marge des institutions. Ce qui a provoqué en 2012 et 2013 des mobilisations fréquentes, au travers du phénomène des Mareas notamment. Dans beaucoup de cas, les attentes de ces groupes ou de ces mobilisations n’allaient pas plus loin que la volonté d’un retour à 2007.

Avec les élections européennes de mai 2014 a commencé un long cycle électoral d’un an et demi qui s’est terminé avec les élections générales. Pendant cette période, la participation aux mouvements sociaux a diminué pour se reporter sur les élections. Ce que le gouvernement de Rajoy n’a pas pu faire, à cause de la peur, ce sont les autres partis qui l’ont fait en vendant de faux espoirs. Et de cette manière, les revendications passent par les voies institutionnelles, ce qui est tolérable pour le marché.

Par rapport à la mise en place de la loi bâillon, quels sont les derniers cas de répression envers des militants et militantes de la résistance sociale ?

Hector Martinez : Personnellement je n’aime pas le terme « loi bâillon » parce que je crois qu’il définit mal le caractère des réformes auxquelles il fait référence. Certes, elle augmente la répression économique, la répression envers la contestation sociale et renforce l’impunité ainsi que la « discrétion » de la police mais surtout elle engendre une profonde réforme du code pénal qui va bien au-delà.

Cette réforme pénale introduit la peine permanente révisable, c’est-à-dire, une peine indéterminée qui suppose la mise en place de la réclusion à perpétuité en Espagne. Dans ses grandes lignes, elle durcit les sanctions pénales, renforce la protection de la propriété privée, favorise les expulsions des immigré-e-s, établit des mesures de sécurité fondées sur la dangerosité du sujet et non pas sur le délit commis, double les peines des délits contre la propriété intellectuelle…

Nous pourrions résumer cette réforme comme étant un blindage des élites face à la situation de misère produite et face à l’action collective ou à la contestation sociale. En ce qui concerne les cas de répression, il faut souligner la ridicule tentative du gouvernement de faire ressusciter la peur du terrorisme anarchiste. Une tentative de construire de toutes pièces un ennemi qui n’existe pas et surtout n’inquiète personne. Le 16 décembre 2014, l’opération Pandora contre le mouvement libertaire catalan s’est mis en marche. Des perquisitions de centres sociaux ont été effectuées ainsi que chez des militants et militantes, ce qui a abouti à l’arrestation de neuf personnes accusées « d’association de malfaiteurs à des fins terroristes ». Trois mois plus tard, l’opération Piñata a eu lieu en mettant en place le contrôle de centres sociaux et l’arrestation de trente-neuf militants et militantes dans le pays.

En conclusion ?

Hector Martinez : Nous, collectifs et organisations, qui ne jouons pas le jeu des élections, devons continuer notre travail politique de toujours, préserver les espaces que les machines électorales n’ont pas réussi à pervertir, vider ou détruire et souhaiter que toutes et tous ces camarades séduits, encore une fois, par l’idée qu’un parti puisse assurer le salut du peuple, déchantent et reviennent à la vraie politique. Celle qui ne peut se faire qu’en dehors des institutions.

En savoir plus sur l’Acción Social y Sindical Internacionalista (Assi)

AL, Le Mensuel, Mars 2016