Par Un syndicaliste anticapitaliste
En cette fin de mois de décembre 2013, l’ensemble des assemblées parlementaires de Belgique a finalement ratifié le Traité européen sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance. La Belgique s’aligne donc finalement sur les autres pays européens, faisant des politiques économiques néolibérales une norme constitutionnelle et de l’austérité budgétaire une réponse à la crise capitaliste toujours plus profonde, quoi qu’en disent les médias bourgeois.
Dans un dernier sursaut de lucidité, certaines centrales syndicales entendaient s’opposer à ce Traité pourtant adopté depuis mars 2012 au niveau européen. Rejoins par des associations de la « société civile », la FUGEA, des organisations et des partis politiques, la plateforme « Alliance D19-20 » se constituait en septembre dernier afin de lutter contre l’austérité et bloquer le Sommet européen qui devait se tenir à Bruxelles le 19 & le 20 décembre.
L’appel au blocage du Sommet se relevait être une initiative enthousiasmante et un tant soit peu ambitieuse tant les directions syndicales s’étaient montrées frileuses ces dernières années et bien trop timides à dénoncer les politiques austéritaires de la majorité gouvernementale menée par un premier ministre PS. Il faut dire que certaines bureaucraties syndicales commencent à jouer leur tête vis-à-vis d’une base ouvrière dont le grondement de colère se fait de plus en plus ressentir en interne et parfois publiquement à l’image de l’appel du 1er Mai de la FGTB Charleroi pour construire une alternative à la gauche du PS. En effet, une frange syndicale encore minoritaire mais de plus en plus importante remet en question les liens historiques avec les sociaux-libéraux du Parti Socialiste aujourd’hui convertis pleinement au réformisme bernsteinien et au capitalisme de marché. Frange à laquelle le PTB fait les yeux doux et qui pourrait se laisser séduire à terme par cet ex-parti maoïste reconverti aujourd’hui en social-démocrate radical, nouveau prétendant au titre de parti de gauche et gestionnaire du capital qui ne lésine pas sur le populisme et le prêt à pensé néo-keynésien comme pansement miracle à l’exploitation capitaliste.
Face à la gronde donc il était temps pour les bureaucrates les plus attachés à leur siège de montrer qu’eux aussi pouvaient être « radicaux » et d’ainsi proposer un projet pouvant satisfaire la base bien au-delà des habituelles manifestations promenades dont la tête de la FGTB nous gratifie depuis des années et qui ne parviennent plus à apaiser le mécontentement.
Sans pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain, il faut franchement dire que l’initiative de l’alliance à de quoi réjouir. La convergence des luttes est ainsi mise en avant mais disons qu’elle ne pouvait semble-elle se faire – au niveau national – sans les autocrates syndicaux prêts à prendre quelques risques mais pas trop non plus puisque défiants vis-à-vis de tout ce qui se fait hors de leur contrôle. C’est ainsi qu’à quelques semaines de l’action, le projet de base se voyait déjà raboter de ses ambitions. Experts de la collaboration de classe et de l’obéissance aux ordres de l’état bourgeois et de sa police, il n’était dors et déjà plus question de bloquer Bruxelles de 7h à minuit et ils abandonnèrent l’un des 6 blocages pour laisser passer les délégations européennes…
Ceux qui avaient encore de l’espoir dans cette initiative et à ses mots d’ordre ne pouvaient que déplorer cette énième couardise et s’organiser en conséquence dans l’espoir que le jour même la prise de conscience des enjeux du blocage prennent le pas sur l’habitude de marcher au pas…
Rendez-vous était donc pris en ce 19 décembre sur 5 carrefours clés de Bruxelles. Les organisateurs qui attendaient 2000 à 3000 participants essentielles pour la réussite de l’action purent satisfaire leur attente. La police annonçait quant à elle 900 manifestants puis en fin de journée 10.000, confirmant ainsi le postulat einsteinien, c’est bien par erreur qu’ils ont un cerveau alors qu’une moelle épinière leurs aurait amplement suffit. Et prouvant par la même que les preneurs d’otages n’étaient pas qu’une poignée, en déplaise à Yvan Mayeur nouveau chef de file de la sociale-trahison bruxelloise. Sans doute fallait-il l’excuser, mal dégraissé d’avoir été réveillé aux aurores à l’image des ouvriers qu’il ne côtoie jamais il avait confondu mouvement ouvrier et parlement bourgeois…
À 7 heure du matin, syndicalistes, militants, etc. prirent donc le contrôle des carrefours autour des institutions européennes dans une capitale en état de siège policier. Malgré l’encadrement des bureaucrates, un vent communard soufflait sur Bruxelles bien douchée comme à son habitude. Au blocage Avenue d’Auderghem/rue Béliard, 200 à 300 personnes étaient venues prêter mains fortes aux agriculteurs de la FUGEA. On eut droit aux habituels discours insipides de quelques délégués se glorifiant de la réussite de l’action.
La levée des blocages prévus à 11h sur le premier point était suivit d’une manifestation faisant la jonction avec chaque carrefours jusqu’au dernier Avenue d’Auderghem/rue Béliard. Enfin l’ensemble de la manifestation devait rejoindre Schuman.
La manifestation en vue, les bloqueurs virent à la rencontre des manifestants. On pu alors constater que deux tracteurs faisaient face à un barrage policier dans l’une des rues adjacentes. Simple provocation, ou réelle volonté de passer le barrage. Personne ne peut l’affirmer. Mais déjà les gros bras défenseurs de l’ordre syndical étaient présents pour calmer les plus vindicatifs.
Deuxième acte de dévoilement, la manifestation reprend sa route vers le croisement Auderghem/ Béliard, pendant qu’une partie des manifestants s’arrêtent pour une pause ravitaillement (qu’ils ne quitteront plus) d’autres s’organisent pour manifester vers les institutions européennes comme le prévoyait le plan initiale. Première tentative directe vers Schuman sur un axe tenu par la police dont un blindé et une autopompe sont venus renforcer le dispositif de robocops. Nouvelle séance de musculation militante face à un dispositif policier bien trop important pour être submergé…
Mais à nouveaux, les gros bras et les bureaucrates syndicaux sont aux aguets, plus menaçants encore cette fois vis-à-vis de tous ceux qui ne marchent pas dans les clous qu’ils ont eux-mêmes tracés.
La manifestation repart cette fois, amputées de ceux qui ont fait marche arrière et aux pas de courses atteint ce qui devait être le point final de cette journée d’action.
Et là… et bien là rien du tout. Et les 200 à 300 personnes bien déterminées à ne pas se laissée jetée de la poudre aux yeux indéfiniment ne sont pas dupe face au discours misérable d’un Rudy Janssens (CGSP) qui ne semble pas lui-même être convaincu par son propre discours (peut-être n’y avait-il pas suffisamment de caméras à sa guise?). Sommant les manifestants de retourner au point Auderghem/ Béliard, celui-ci fait comprendre à une assemblée médusée que ceux qui s’y refuserait ne seraient pas légitimes, pas membre de cette initiative malgré leur engagement dans la plateforme depuis septembre. Que tout ceux qui ne seraient pas d’accord avec lui seraient donc contre lui, lui le despote éclairé qui réclamait pourtant avec sa clique de rencontrer les responsables européens qui ont fait fi de leur demande.
Pourtant à quelques centaines de mètres de là, les délégations des chefs d’états passaient devant les manifestants qui pouvaient les apercevoir derrière le dispositif policier. N’était-ce pas là le but des blocages que d’empêcher l’accès aux Sommet européen ou n’était-ce à nouveau que de la poudre aux yeux ? Ces blocages n’avaient-ils comme unique but de faire croire aux centaines de participants qu’ils concouraient vraiment à empêcher les politiques néolibérales ? Ou n’étaient-ce qu’un faire-valoir indispensables aux bureaucrates pour conserver le soutien d’une base désabusée ? Qu’une occasion pour les pseudos partis d’extrême-gauches et sociaux-démocrates radicaux d’y faire de la figuration tout en n’y faisant rien ?
Mais dès lors que cette initiative fut prise, dès lors que des centaines de personnes y participèrent, déjà cette action ne leur appartenait plus, elle appartenait à tous et à toutes malgré ce que pouvaient en dire les capots syndicaux. Et de ceux là, parce que la classe ouvrière n’a besoin de rien n’y personne pour choisir, certains s’ébranlèrent. 150 personnes environs pénétrèrent dans le parc du Cinquantenaire pour le traverser et prendre à revers le dispositif policier afin d’appliquer le mot d’ordre qui faisait l’unanimité, bloquer physiquement le Sommet Européen !
La suite tout le monde la connait, une fois sorti du parc les manifestants se trouvèrent face à un barrage policier. Ceux-ci lancèrent la charge contre les manifestants qui tentèrent de les repousser avant d’entamer une course poursuite contre les flics en civils délestés de leurs brassards. Cette course poursuite fit environ 80 arrestations, il y eut plusieurs blessés, 3 furent arrêtés judiciairement, d’autres parvinrent à s’échapper. Les flics parlèrent de « mouvance anarchistes » et les médias répétèrent mots à mots fidèles à leur rôle de chiens de garde. En réalité l’on vit effectivement des anarchistes mais l’on vit également des syndicalistes, des militants d’organisation de jeunesse ou des individus n’appartenant à aucun parti ni à aucune organisation se faire molester pendant les arrestations ou après alors qu’ils venaient soutenir les arrêtés.
L’on vit des gens passer 12 heures en cellules parfois sans chauffage ni lumière, obligés de subir des brimades… Mais cela les bureaucrates syndicaux n’en dirent pas un mot, oubliant le principe de solidarité pourtant pierre de touche des syndicats ouvriers.
Alors non, cette journée d’action ne fut pas un échec, elle permit de faire converger les luttes des ouvriers, des agriculteurs, des jeunes et des femmes. Elle fut la première pierre d’un mouvement à construire vers l’autonomie des luttes. Elle ne fut pas un échec parce que certain portèrent fièrement cette devise de l’AIT, « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Parce que l’organisation des dominé-e-s quel qu’ils et elles soient est trop importante, trop vitale, pour qu’elle soit laissées aux mains de ceux qui n’en n’ont que faire, qui n’ont qu’un but, celui de conforter leurs intérêts. Que ce soit leurs intérêts individuels ou leurs intérêts de classe dominante.
Rappelons leur la signification de la lutte des classe qui ne peut passer que par l’auto-organisation des dominés, l’autogestion démocratique et l’action directe parce que « la classe ouvrière, en réaction constante contre le milieu actuel, n’attend rien des hommes, des puissances ou des forces extérieures à elle, mais qu’elle crée ses propres conditions de lutte et puise en soi ses moyens d’action » (Emile Pouget).